La nouvelle La Seconde Vie d'un olisbos (que l'on peut trouver sur Amazon) comprend un texte inséré dans un autre. Ce texte central est un conte érotique chinois. Ou plutôt un pastiche de conte érotique chinois bien sûr. Il a été mis en ligne sur le site d'Idée du désir. Je vous propose de le lire ici si cela n'a pas encore été fait.
Dans
la province du Fujian vivaient dans la même maison deux sœurs
également respectées pour leur honorable conduite. Jamais on ne les
voyait s'attarder sur le marché auprès des fripons diseurs
d'aventures ou des vieilles qui vendaient des onguents aux vertus
magiques.
Dajie
l'aînée comptait vingt printemps. Elle était mariée avec un
fonctionnaire attaché au tribunal qui la délaissait pour de longs
voyages à travers la campagne, où il s'enquérait de nouvelles
affaires judiciaires. Il était si souvent parti que Dajie se
languissait près du foyer. Heureusement, sa cadette,
Xiang-aux-yeux-agiles, savait la divertir : elle inventait des
charades et peignait des paysages aux tons rougeoyants qui causaient
l'admiration de son aînée. Elle n'avait de plus pas sa pareille
pour raconter des histoires, bien qu'elle ne fréquentât aucun lieu
où des bonimenteurs récitaient les gestes de héros ou les
aventures scabreuses d'un quelconque ouvrier et de sa femme
pécheresse. Ses histoires, elle les puisait dans son esprit seul. Et
parce qu'elle n'avait autour d'elle que des âmes simples, elle
mettait en scène le quotidien de petites gens : la femme qui en
lavant son linge perdit un bijou d'or fin, le marchand de vin éméché
qui fut volé pendant son sommeil... Chaque histoire commençait
par quelques vers que Xiang tenait d'un livre qui ne quittait jamais
sa chambre.
Un
soir où le chagrin avait enveloppé Dajie comme la brume qui
couvrait à l'aurore le fleuve Jiulong Jiang, Xiang alla
chercher ce livre secret. Entre chaque poésie qui célébrait les
saisons, que Xiang connaissait par cœur, se glissaient des estampes
promptes à faire rougir l'homme le plus expérimenté dans les
privautés de la chambre.
Dajie
s'étonna : « D'où te vient, petite sœur, un tel ouvrage
qui offusque les sens ? » Xiang ne répondit pas, mais
ouvrit le livre qui représentait une scène d'amour entre une femme
aux jambes largement écartées et un homme qui embrassait sa fleur
intime.
Dajie
soupira. Son mari n'avait jamais baisé ainsi ses lèvres d'amour.
Combien de récréations des corps n'avait-elle pas eu le loisir de
découvrir à cause d'un époux qui préférait le travail du
tribunal à celui dévolu aux amants ?
Pour
comprendre l'étendue de son inculture, Dajie tourna fébrilement les
pages du livre aux mille gravures. Xiang ne perdit rien de
l'agitation de sa sœur. Elle la partageait, même, sachant par
avance sur quelles figures son aînée poserait les yeux. Côte à
côte, liées désormais par un secret licencieux, les deux sœurs
étaient ombrées d'un fard de honte et de joie mêlées.
« Ainsi,
de telles acrobaties mèneraient mari et femme vers un bonheur qui
lui était hors de portée ? » songea Dajie. Outre le
lointain travail de son homme qui desservait ses amours, Dajie décela
une cause supplémentaire à son insatisfaction : l'ignorance
des mille et une façons de célébrer l'union du yin et du yang,
comme les petits doigts caressants qui se faufilent et par la voie
naturelle et par le conduit étroit, les mouvements de langue en
spirale sur le bourgeon dégagé de ses feuilles, la prise ferme du
coquillage sur le mât dressé au milieu d'une tempête. Rien,
absolument rien… Son limaçon de mari était un niais qui ne
l'avait jamais transportée, qui n'avait jamais fait naître sur son
visage cet air extatique que Dajie contemplait sur les figures de
papier.
« Oh,
petite sœur ! Pourquoi m'as-tu montré mon infortune ? Ton
beau-frère est un rustre qui ignore comment lutiner mon calice de
nacre. Hélas pour moi, à moins de prendre un amant et de perdre ma
probité, je ne connaîtrai jamais les bienfaits de l'action combinée
des mouvements du bambou et de doigtés habiles ! » Xiang
ne sut que répondre aux lamentations de sa sœur ; elle ne put
la consoler et se sentit fautive de l'avoir conduite à admirer le
beau livre des amours.
Alors
que sur sa couche, elle cherchait le repos, lui vint cependant une
idée. Elle sortit le livre de sa cachette et le compulsa à la hâte
jusqu'à la page qui apporta une solution à son inquiétude. Inutile
pour Dajie de prendre un jeune amant vigoureux et agile pour câliner
sa solitude ! Il existait un autre moyen de combler la béance
de ses chairs, qui la placerait hors de danger des commérages et lui
épargnerait la vengeance de l'époux outragé, si parvenait à ses
oreilles le récit de son inconduite.
C'est
ainsi que, dès le lendemain, Xiang s'enquit d'un fabricant d'objets
de plaisir. Elle parlementa avec une entremetteuse pour se faire
livrer au plus tôt un manche à femme, de taille médiane seulement,
car elle se doutait qu'après avoir goûté à un olisbos
d'envergure, Dajie ne pourrait se satisfaire des maigres prouesses
d'un mari venu, entre deux procès, répandre sa pluie fertile.
Nul
ne devait avoir écho des jeux d'alcôve de l'épousée, afin que ne
s'ébruitât pas le fait que la belle cherchait à combler sa cave
béante : il aurait tôt fait de se présenter à sa porte des
vilains en rut. Tout se déroula dans la plus grande discrétion.
Xiang offrit le soir venu le joli présent à Dajie qui considéra
l'objet avec hésitation avant de comprendre son usage. « Oh,
petite sœur, mon écureuil volant, Xiang-aux-yeux-agiles, comment te
remercier ? Tu m'évites de salir ma réputation et tu œuvres à
mon bonheur ! » La cadette ne souhaita rien en échange.
Le sourire de sa sœur lui suffisait.
Il
lui suffit, du moins, pendant quelques jours. Cependant, la femme est
changeante, ainsi que le chantent les poètes, écoutez-les, hommes
infortunés ! Par elles viennent les ruses et viennent les plus
grands bouleversements ! Il ne s'était écoulé que deux
journées avant que Xiang se désole en songeant que les nuits de
Dajie valaient cent fois mieux que les siennes. Quand des bras forts
porteraient-ils son palanquin ? Quand connaîtrait-elle à son
tour les transports amoureux sur son lit d'épousée ?
Un
soir, alors que la bougie était soufflée depuis longtemps, Xiang se
tournait dans son lit sans trouver le sommeil. Elle se décida alors,
glissa hors de ses draps pour arpenter, les pieds nus, le couloir qui
menait à la chambre de sa bienheureuse sœur. Elle tira la porte et
secrètement se posta au pied du lit. Des gémissements accompagnés
d'une haletante respiration la renseignèrent sur les agissements de
la maîtresse des lieux. Xiang se tapit sur la couche moelleuse, au
milieu des coussins, à côté de Dajie. Celle-ci sursauta à son
approche.
« Chut,
n'aie pas peur, dit alors Xiang. Tu souhaitais me remercier, alors
voici ce que j'aimerais : que tu me laisses partager tes nuits
de délice avec le compagnon de bois. » Dajie ne put refuser
une telle requête : ne devait-elle pas son bonheur à la
générosité de sa petite sœur ?
Elle
ouvrit grand les bras pour inviter Xiang à s'y réfugier. Puisque le
petit-monsieur de bois avait deux extrémités, elle attribuerait à
sa compagne de jeu la seconde tandis que la première poursuivrait
son office.
On
ne vit jamais sœurs plus soudées que ces deux-là.