Fellation amoureuse

Ce texte, "Fellation amoureuse", a été publié dans le numéro intitulé Le moite et le turgescent de la revue mgversion2datura. Il a servi de base à un autre, après modifications, allongements : Un Festin sous les draps, publié aux éd. L'encre parfumée de Lys.


Il était allongé sur le dos, les couvertures au menton. Le radio-réveil dans la chambre affichait vingt et une heures seulement, mais la fatigue le terrassait. Je me serais volontiers offert également un somme, une plongée imminente dans un coma étoilé. Les enfants dormaient, les chambres étaient éteintes, plus un bruit, enfin le repos... Cependant je ne voulais pas finir cette journée, celle de l'anniversaire de notre rencontre, douze ans plus tôt, sans un geste. Celui de ma langue, avais-je imaginé. Et cette idée qui avait trotté dans ma tête tout au long de l'après-midi ne pouvait être remisée, laissée au lendemain qui nous verrait sans doute tout aussi fatigués le soir venu. Comment pouvais-je frétiller d'aise à la pensée de toucher contre mon palais son sexe vigoureux et quelques heures plus tard, alors qu'arrivait le moment de réaliser mon souhait, m'écrouler de sommeil sans coup férir ?

Réfrénant un bâillement, je me faufilai donc jusqu'à sa taille, en aveugle ; drap et couvertures me couvraient totalement : je hissais la toile de tente et c'était son piquet que j'allais engloutir. Pour l'instant, caché sous le coton de son pyjama bleu, l'objet de ma convoitise ressemblait davantage à un limaçon. Diable, quelle importance ? J'étais une fille de la campagne, et fouiller l'humus de mes doigts ne m'effrayait pas. Je descendis l'élastique du pyjama. « Qu'est-ce que tu fais ? » demanda-t-il. « Du camping ! » lui répondis-je. Mes doigts s'entremirent entre ses poils longs à lisser. J'aimais toucher les boucles brunes de son sexe, les peigner de mes doigts. C'était un rituel, une caresse quotidienne à l'orée de la nuit. J'approchai ensuite mon visage et humai l'odeur, un peu forte, aigrelette ; l'homme de ma caverne ne s'était pas douché ; je captais ce mélange rance de la transpiration, de l'urine, des peaux collées au vêtement, frottées tout le jour, asphyxiées par l'habit. Soudain nu, le bouquet accaparait mes narines. Je me penchai davantage et entrepris de donner des coups de langue, petits et rapides, autour du méat. Le goût aigre sur l'apex. C'était mon homme, j'aimais ses odeurs et son goût de terre de bruyère.

Le sous-bois abritait encore, néanmoins, un mollusque flasque. Les couilles, comme deux coquilles où l'animal trouverait refuge en cas d'alerte, étaient bercées par mon investigation. Mes gestes restaient légers, ma langue couverte de salive. N'aie crainte, animalcule, je vais te réveiller en douceur. Ce fut cette langue que je dardai. Langue de serpent, fine et agile, ainsi la voulais-je à la base de sa verge, entre ses tendres fruits. Je ne croquerai pas tes pommes, seule la branche me tente ! C'est ce roseau flexible que je verrai croître entre mes lèvres. Qu'il se transforme en bois dur, qu'il ait la solidité d'un chêne ! Tu le sens, je le nourris, ma salive coule tout son long. Je le réchauffe dans ma bouche, pauvre petite chose ! Je sens la sève affluer qui en rigidifie la tige !

Ainsi murmurai-je ces paroles contre le chaud de ses cuisses. Couverte comme je l'étais, tête camouflée sous la literie, étais-je audible ? Ces mots n'avaient-ils pas pour but de chatouiller mes propres oreilles, de vriller mon ventre de désir ? Je sentais dans une grotte plus sombre et plus profonde que celle que je formais sous le drap comme un pont au-dessus de son corps, suinter les parois. J'étais visqueuse en dedans de moi. En veux-tu, une autre grotte, un tunnel, sombre et étroit ? Un corridor rose tapissé par ma langue vive, toute de chair. Aussi vive que ce bout que j'engloutissais alors et qui grossissait depuis la première sucée.

Mon homme, douze ans ne s'écoulent pas sans failles. Nous avions eu des cassures, des embrouilles, des soucis. Je tenais pourtant entre mes dents, au cours de cette soirée, la preuve que tu étais à moi.
Je ne dis rien, pourtant. Comment aurais-je pu parler la bouche pleine ?