Reiki est un texte que j'avais proposé pour le thème "coup de foudre sexuel" des éditions La Musardine, mais c'est L'autre qui a été publié. Alors j'ai proposé ce texte un temps en téléchargement gratuit, puis l'ai inséré dans le recueil Le sexe est une folie. Je vous en propose à nouveau la lecture ici.
J'ai
réussi à dégotter une jupe en vinyle bon marché dans le sex-shop
de la rue Ambroise Paré. Je
suis
un peu serrée au niveau des hanches, mais pour ce que j'en ferai, de
toute manière… Comme mes notes de frais ne doivent
pas excéder cent euros, j'ai
intérêt à économiser sur la tenue vestimentaire. Pour le
maquillage, un khôl
charbonneux accompagné d'un gloss noir suffira. Dans le miroir, je
ressemble à une poupée gothique. On n'y verra que du feu.
Ma
carte de presse restera chez moi. Cette nuit, je suis une journaliste
infiltrée dans une soirée fétichiste. L'été approche, le
magazine pour lequel je travaille est friand d'articles sur les
sexualités non conventionnelles. Cela se vend bien. On me paye bien,
à condition que je ramène du sensationnel. Les dessous des soirées
fétichistes, c'est prometteur. Alcool, drogue, prostitution ?
Ou alors une orgie ? De la bestialité ? Je suis prête à
tous les scénarios. Il me suffira de feindre d'être du milieu, de
glaner des informations et surtout d'ouvrir l’œil.
Les
people qui font une gentille sex tape, c'est out.
Ce que veut le public, ce que cherchent les lecteurs de magazines,
c'est comment monsieur tout le monde se transforme la nuit venue en
un maniaque sexuel, c'est savoir que des gens bien sous tout rapport
s'adonnent à des pratiques sado-maso. Le must, c'est quand
ils croient reconnaître leurs voisins. Ou papi-mamie. Les trucs les
plus crades faits par les personnes les plus innocentes. Je dois
payer les révisions de la voiture. Je rêve d'un écran plat de la
largeur du mur. Mon article, ce sera le jackpot.
On
me dit cynique. Amère. Et alors ? Qui a décrété que
c'étaient des défauts ? Pour avancer dans son existence, mieux
vaut être cynique que tendre comme une guimauve. Les filles-guimauve
se marient, ont des enfants et se réveillent un jour comme dans la
chanson de Téléphone. Seules, vieilles. Bousillées. Elles auront
fait quoi de leur vie ?
La
soirée a lieu dans la cave d'un hôtel particulier. Ma jupe est sans
doute un peu cheap pour l'endroit... Je n'ai pas réalisé en
griffonnant l'adresse que je me retrouverai devant une luxueuse
porte-cochère. Une telle solennité pour un lieu dédié à la
débauche ! Je pousse la porte, on m'apostrophe. Je fixe le
baraqué de l'entrée droit dans les yeux. Pas peur de toi, mon
gars. C'est comme un mantra. Je pense ce que je veux être. Là,
je suis une dure à cuire, on ne me fera pas reculer. Le mec aux gros
biceps m'examine de pied en cap. Je retiens ma respiration. C'est
bon, il me laisse entrer. Ça marche à tous les coups.
Je
franchis la porte et ça me prend de plein fouet. Que dire ?
Lustres clinquants, de mauvais goût. Musique trop forte. Basse
assourdissante. Salle obscure, on se voit à peine. Sauf du côté du
bar. La piste de danse est rayée de flashs lumineux qui frappent la
rétine au point de l'aveugler. Et tout semble d'un ennui mortel. Des
gens se balancent sur un pied puis l'autre. Ils appellent ça danser.
Les têtes de zombies que certains arborent ne me font même pas
rire. J'ai vu mieux à Halloween. Du noir sur toutes les fringues ou
presque, du vinyle poli et brillant ou du latex terne. Des treillis
pour quelques mecs qui semblent s'être échappés d'un commando en
Irak. Il y a également une sorte de Dark Vador avec son masque à
tube. Des lolitas avec des oreilles de lapin, une épaisseur de khôl
double de la mienne et une jupette en corolle qui n'arrive pas à
cacher totalement leurs fesses. Celles-là, je les imagine bien
grignoter une carotte d'ici peu.
Retenir
le jeu de mots, aussi stupide qu'il paraisse. Le lectorat du mag aime
bien les grivoiseries sous les termes les plus innocents. Je les
devine sourire en coin en fantasmant un truc salace. Ne pas trop en
dire tout d'abord, juste appâter. Le trash, ce sera pour le
paragraphe suivant. Ou même un peu plus tard. Faut laisser mijoter.
Je
m'approche du bar. Une donzelle croise les cuisses si haut qu'on
distingue le triangle minuscule qui dissimule à peine trois poils
oubliés sur son pubis. Son cache-clito est noir, lui aussi. Le
contraire m'aurait étonnée. Ses jambes sont couvertes de bas en
résille si large qu'on pourrait y passer les doigts. Inutile de
faire un topo. Avec sa dégaine de fous-la-moi par tous les trous, la
meuf est entourée de mecs.
—
Tu
danses, bébé ?
—
T'as
l'air chaude.
—
Tu
me feras une gâterie ? Je te donnerai un joli sucre d'orge.
L'inventivité
masculine me surprendra toujours...
À
côté de la bombasse, j'ai l'air d'un vilain petit canard. Tant
mieux, je peux écouter et regarder de tout mon saoul. Et m'enfiler
un cocktail discretos. Ça rentre dans la note de frais. Le barman me
branche cependant. Il doit voir flou. M'étonnerait pas que quelques
substances illicites soient rangées sous le comptoir. Après tout,
il doit en savoir un max sur ses clients. Je peux le cuisiner en le
laissant imaginer qu'il m'intéresse. Je pose mon cul sur le zinc. Il
me sourit. Je lui parle exhib, partouze, bukkake, slam.
—
Non,
t'inquiète, y a pas de ça ici. On est clean.
C'est
pas ce qui me rassure. Je ne suis pas venue à une soirée dansante
BCBG.
—
Même
quand y a une chaudasse comme elle au bar, il se passe rien ?
—
Mélany ?
C'est une gentille fille. Clean, j'te dis.
Un
rire sonore éclate. Je me retourne. C'est Mélany.
—
Alors,
tu t'intéresses à ma chatte ? Ça tombe bien, je te kiffe
grave, avec ta tête de sainte-nitouche.
Sainte-nitouche
si ça lui plaît, je l'ai bien traitée de chaudasse...
Le
barman a l'air gêné.
—
Enfin
Mélany, parle pas comme ça à la demoiselle. Tu risques de lui
faire peur. C'est pas souvent qu'on a de nouvelles clientes…
—
No
stress mon chou, je vais prendre soin de ta protégée. Je
perçois un feeling grave entre nous.
Mélany
me tire par la main. On se retrouve toutes les deux sur la piste.
Elle pose aussitôt ses paumes sur mes fesses. Je sens sa chaleur
corporelle. Elle irradie.
J'ai
déjà fait un papelard sur le reiki, sans y croire. Le praticien
avait passé ses mains à deux centimètres de mon corps en me
répétant « vous sentez l'énergie qui passe de mon organisme
au vôtre » alors que j'avais seulement des fourmis dans les
pieds et une vague envie de me gratter le cuir chevelu. Je lui ai dit
oui pour en finir au plus vite. Avec Mélany, ce n'est pas du reiki,
mais il y a vraiment quelque chose. Elle me transmet une forme
d'énergie particulière. Sexuelle. Le courant passe entre ses mains
et mes fesses, s'insinue dans ma raie, touche ma vulve. Mon bouton se
dresse. Putain, comment elle fait ça, cette meuf !
Elle
se penche vers moi. Sa bouche à un doigt de mon visage. Elle va
m'embrasser ! Je n'ai pas le temps de réagir, de reculer, que
ses lèvres scellent les miennes. Son souffle dans ma bouche, sa
langue dans ma bouche, sa langue contre ma langue. Elle m'électrise.
C'est un vampire, elle aspire ma volonté. Je caresse sa langue de la
mienne, l'enroule. Elle suce ma salive. Nos bouches se quittent à
regret, pour reprendre notre respiration.
Mélany.
J'articule bêtement son prénom, comme un drogué en manque.
—
Et
toi ? Tu t'appelles comment ?
—
Aude.
—
Tu
seras à moi, Aude.
C'est
con, dit comme ça, mais sa voix de fumeuse, profonde, grave, me fait
frissonner. J'ai la chair de poule et un désir qui me saisit le
ventre. J'approche à nouveau ma bouche de la sienne et nous
échangeons un nouveau baiser qui me remue les tripes. Nous sommes
seules sur la piste, ou du moins ai-je cette impression. La salle est
si sombre de toute façon. Nous sommes collées l'une à l'autre, mes
seins pressés contre les siens. Je porte les mains à son soutif,
descends avec impatience les bonnets sous les mamelons. Libres, les
tétons pointent. Je pense c'est doux, une fille. Je passe le
bout de mes doigts sur ses seins. Et, autant pour l'exciter que pour
l'inciter à réagir, à me toucher, elle aussi, je pince ses
tétons. Elle gémit.
—
C'est
ton clito que je vais pincer, ma petite salope. Avant que je ne te le
morde et que je te nique de mes doigts.
J'en
coule d'envie. Je suis prête, à sa merci. Sa main se glisse entre
mes cuisses. La jupe est trop serrée. Je la dézippe. Mon slip est
humide. Elle insinue ses doigts dessous, me touche le con. Je réagis
aussitôt par un spasme.
—
Qu'est-ce
que tu mouilles !
Elle
ramène ses doigts à sa bouche, insère son index et le suce. Je
veux le faire aussi. Par habitude : je suce toujours un pénis
avant de passer aux choses sérieuses ; baiser avec une meuf me
fait perdre mes repères. Je prends son doigt, le fais coulisser dans
ma bouche. Il a un arrière-goût de cyprine.
—
Viens
par là, me dit-elle.
Elle
m'attire sur une banquette, vire ma culotte et me demande d'ouvrir
les cuisses. Sa bouche se ventouse à mon sexe. Elle me fait subir
avec sa langue le même traitement que lorsqu'elle était dans ma
bouche. Je sens la houle du plaisir. Ça s'amplifie, ça gonfle.
Mélany
choisit ce moment pour m'enjamber. Un 69 pour que je la broute moi
aussi. Je m'y colle. Je m'applique. Je me barbouille le visage de
son suc et, en souvenir de ce qu'elle m'a dit, mordille son clitoris.
Elle fait de même. Ou plutôt me mord. C'est brutal, douloureux.
Trop fort après ses caresses buccales. Je jouis à l'instant même.
Je pousse un râle.
Pour
la mener à son tour à l'orgasme, j'enfonce mes doigts et la ramone.
Son sexe se contracte. Elle coule. J'en ai plein la figure et le cou.
Je porte alors mes propres doigts à ma bouche. J'aime son goût.
—
On
dirait pas comme ça, à te voir. Mais comme chaudasse, t'es pas mal
dans ton genre, toi aussi.
—
C'est…
parce que c'est toi.
Voilà
que je sors du Montaigne, ou presque. Je me sens gauche. Elle
m'intimide, subitement.
—
Les
filles, c'est pas ton truc ?
—
Pas
jusque là. Je ne sais pas ce qui m'a pris avec toi.
—
L'ambiance ?
—
Non.
Cela provient de toi seule.
Mélany
me sourit. J'ai l'impression qu'elle est émue.
—
Allez
viens, retournons au bar ! J'ai soif. Pas toi ?
Je
la tiens par la main. Au bar, nous nous asseyons sur deux tabourets
voisins. Nous commandons des mojitos et trinquons à notre rencontre.
Je croise mes jambes aussi haut que les siennes. On n'y voyait pas
grand-chose sur la banquette et je n'ai pas pris la peine de chercher
ma culotte. Je me sens indécente et j'aime ça. Les mâles nous
entourent. Nous ne leur prêtons pas attention. Nous discutons entre
nous, ainsi qu'avec le barman. Il s'appelle Joe et sa bouille m'est
sympathique.
—
Dis-moi,
Joe ! Y a jamais de sexe dans ce type de soirée ?
—
Comment
veux-tu qu'il y en ait ? À
la vue de tout le monde, ça se saurait !
Mélany
rit. Je suis incrédule. Est-ce qu'il se fiche de moi ? Quand
Joe sert un client, à l'autre bout du comptoir, elle m'explique :
—
Joe
est un peu simplet. Enfin, comment dire ? Il a un grain. Il ne
voit rien, les gens sont tous gentils, la vie est belle. C'est un
bisounours. On l'aime tous à cause de ça.
—
Alors,
du sexe, il y en a ?
—
Attends
sur les coups de deux heures. C'est là qu'on déclenche les
festivités. Tu vas kiffer !
Je
me sens soudain triste. Je ne sais pas si j'aimerai. Ce sera bon pour
mon article, oui, c'est sûr. Mais me retrouver au milieu d'une
gigantesque partouze me laisse de marbre. Et le fait que Mélany y
trouve son plaisir me gâche le mien. Il y avait un truc fort entre
nous. C'est quoi, le feeling dont elle parlait ? Une parole en
l'air pour me baiser ?
—
Qu'est-ce
qui te prend, pucelle ? Tu broies du noir ? T'en as marre
de la soirée ?
Je
me tais.
—
Allez
viens, je t'emmène chez moi. Nous deux, on n'a pas fini de se
découvrir. Et je veux voir ton corps en pleine lumière.
Je
lui réponds bêtement :
—
Et
la partouze ?
—
Mais
qu'est-ce qu'on en a à foutre ! C'est toi que je veux, Aude. Tu
seras à moi, je te l'ai dit.
Nous
partons. Je n'ai rien de valable pour mon article. Tant pis,
j'inventerai. Ce que je vis avec Mélany est intense. Le truc le plus
fou qui me soit arrivé. Une transmission d'énergie sexuelle.
—
Comment
tu fais ça, déjà ?
—
Quoi ?
Elle
pose ses mains sur mes fesses. Le même phénomène se produit.
—
Ça,
justement, lui dis-je. Du reiki.