Le Bras de Dieu, western - chapitres 1-3

Sous le nom de plume Lily Dufresne, j'ai publié il y a quelques années une novella dans le genre du western aux éditions Neobook. 
Cet eBook ne n'est pas vendu du tout (4 exemplaires vient de me dire l'éditrice). Cela ne servait à rien de le conserver dans le catalogue de cette maison d'édition. Mon contrat me permettait de reprendre mes droits après trois ans de publication, or cela fait plus de trois ans que ce texte dort. J'ai donc décidé de vous le proposer ici. 
La collection Novelas dont Le Bras de Dieu faisait partie proposait des novellas de 50 000 signes environ. C'est un peu long pour lire directement sur ce blog, me semble-t-il. C'est pourquoi j'ai créé un fichier PDF que vous pouvez télécharger gratuitement en suivant le lien. Pour celles et ceux qui veulent tout de même lire en ligne, le texte suit, en plusieurs morceaux vu que Blogspot semble refuser l'intégralité du texte...
Une dernière précision : j'écris majoritairement des textes érotiques. Majoritairement ne veut pas dire uniquement, bien que les exceptions soient rares. Le Bras de Dieu fait partie de ces exceptions. Je ne garantis pas que les amateurs de westerns y trouveront leur compte. Au fond, ma seule référence dans le domaine, ce doit être Lucky Luke... C'est donc plein de clichés, de déjà-vu, etc. Bonne lecture tout de même !


I


Ses cheveux blonds étaient courts, et j'imaginais sans peine Mad taillant à l'aveugle, d'un geste décidé, les mèches qui se présentaient sous ses ciseaux. Le visage était crasseux, zébré d'entailles fraîches. On lui avait fait mordre la poussière. Un chapeau à larges bords couvrait sa tête. Ses vêtements étaient en loques. Mad était assise à terre, prostrée. Qui aurait reconnu en cette jeune femme le gangster traqué par les plus habiles chasseurs de prime ? Souple, vive, bonne cavalière habile à dissimuler sa trace, elle semait immanquablement ses poursuivants depuis un peu plus d'un an. Elle avait semblé insaisissable... Jusqu'à ce jour une balle logée dans sa cuisse l'avait suffisamment affaiblie pour qu'elle se laissât cueillir sans résistance. Pourtant, même blessée auparavant, jamais elle n'avait obtempéré aux semonces, jamais elle n'avait plié... Elle semblait indomptable. Elle avait pourtant brutalement déclaré forfait.

Bill le fâché n'était pas peu fier d'avoir capturé cette garce. Il aimait claironner son exploit devant un auditoire. Les tournées au saloon s'étaient ainsi enchaînées alors qu'il racontait et racontait encore, en l'enjolivant à chaque fois de quelques détails, le récit de la capture. Il ne savait peut-être plus à présent démêler le vrai du faux, tant il croyait à sa gloire !
Le personnage n'était sans doute guère recommandable, et jusqu'alors peu auraient apprécié sa compagnie, mais son récit exerçait une réelle attraction auprès de la population locale comme auprès des voyageurs, et le barman voyait d'un bon œil l'attroupement qui se formait autour de lui à chacun de ses récits. Le whisky coulait, les pièces s'amassaient dans le tiroir-caisse. Il ne pouvait que se frotter les mains.
Le joli pactole empoché en livrant Mad aux autorités et les lauriers que chacun lui attribuait avaient ouvert à Bill le fâché les portes du club privé du Dr Simon.
Si quelque étranger, ignorant des coutumes locales, s'asseyait au fond du saloon à la table réservée au Dr Simon et aux initiés, un homme de main y mettait bon ordre en chassant l'intrus. Pour rejoindre les parties de poker qui s'y déroulaient, il fallait recevoir une invitation du Dr Simon en personne. Le lendemain de son exploit, Bill avait reçu le précieux sésame. Depuis ce jour, il honorait l'invitation reçue, de manière assidue : c'était une distinction rare dont il fallait profiter. Cependant, peu habitué aux us du groupe, aux signes d'intelligence qui scellaient des alliances, il s'y faisait plumer. Le Dr Simon lui-même était un excellent joueur. Sa fine connaissance de la psychologie était une auxiliaire précieuse lorsqu'il s'agissait d'identifier qui bluffait. Vu la fréquence de ses échecs, Bill ne tiendrait plus longtemps les paris et serait chassé du club... Pour autant, il ne perdait pas l'air ravi du parvenu heureux de son aubaine.
Suite à son exploit, Bill était devenu une célébrité à vingt lieues à la ronde, et personne ne le lui ôterait son prestige, même lorsqu'il aurait dépensé tout son argent ! Les gens qu'il croisait le saluaient. Betsy, la couturière qui possédait sa propre échoppe dans la grand rue, lui souriait à présent aimablement. Quand il voudrait se ranger, sûr que celle-là ne ferait pas la fine bouche. En repensant à ses formes avenantes, il eut quelques pensées lubriques. Les attraits de Betsy ne se résumaient cependant pas aux appétits charnels que ses charmes suscitaient : il pensait à son bien pécuniaire et à sa ténacité au travail. Elle en abattait, et proprement, qui plus est. Ce serait une assurance en cas de coup dur d'avoir une femme telle que celle-là. Bill, même en vacillant après avoir ingurgité une bouteille d'alcool, savait se tenir avec les dames. Il soulevait son chapeau devant la devanture de la rondelette Betsy et s'inclinait un instant.
L'exploit de cet homme ne tenait à rien, en réalité. Bill le fâché s'était même comporté en lâche, mais qui pouvait rectifier son récit, si ce n'était la prisonnière elle-même, muette depuis son arrivée au pénitencier ?
L'emprisonnement de Mad ne fut pas le résultat d'une longue course poursuite des coups de feu tonnaient de part et d'autre comme le bonimenteur le racontait. Bill avait simplement saisi sa chance en passant près d'un campement de nuit. Mad dormait. Bill la reconnut. Il lui tira dans la cuisse pour s'assurer de sa docilité et attacha solidement ses membres avec des cordes. Bâillonnée, Mad fut juchée sur un cheval comme une marchandise et conduite auprès du shérif de la ville la plus proche. C'était tout.
Arrivée dans sa cellule, Mad semblait avoir renoncé à toute agressivité, à toute tentative de rébellion. Elle avait pris le parti de se taire et d'attendre la fin. Sa condamnation fut rapidement prononcée. Il ne lui restait que quelques jours pour expier ses fautes lorsque j'entrai en scène.


II

La ligne de chemin de fer transcontinentale m'avait amené, deux ans plus tôt, dans ces terres de l'Ouest sauvage les hommes arrivaient en nombre, les promesses de félicité faisaient oublier aux fidèles qu'une vie de labeur attend chaque homme avant le bonheur céleste et que nous ne sommes rien sans le Père qui nous a créés. Récemment consacré pasteur, j'étais gaillard et doté d'une force physique qui me permit de réparer les avanies survenues sur un lieu de culte bâti à la hâte et vite délaissé. Ce fut ma première préoccupation. J'y consacrai toute mon énergie plusieurs semaines durant. Une joie naïve m'anima lorsque j'ôtai la statue de l'ange Moroni et la remplaçai par la croix de Notre Seigneur. J'étais jeune, que Dieu pardonne mon inexpérience ! C'est dans son cœur que chacun prie, qu'importe le lieu dans lequel on se trouve ! Ne l'avais-je pas alors oublié ? Des êtres humains étaient à ma charge et non des murs de pierre et une croix de bois !
Les tâches ne manquaient pourtant pas dans cette petite ville de l'Utah. On ne connaissait plus ni père ni mère quand la fortune était en jeu. La découverte d'un filon d'or au sortir de la ville avait été l'occasion d'une exécrable ruée les uns bousculaient et piétinaient les autres. Deux hommes y avaient perdu la vie : une simple querelle au sujet de la possession d'un précieux caillou avait terminé en règlement de compte meurtrier.
Pour beaucoup, le séjour à C*** n'était qu'une halte vers des ailleurs couleraient, croyaient-ils, le lait et le miel. Une manne pour des bandits qui les détroussaient à la nuit tombante aux abords d'un l'hôtel ou en plein jour en interceptant une diligence. Pour une bourse sortie trop ostensiblement la veille, des voyageurs se faisaient assassiner dans leur sommeil. Le vol appelait le meurtre... Autre crime que celui-ci : certains voyageurs se délassaient de leur longue chevauchée en fréquentant des maisons de passe. Après un verre d'alcool payé à prix fort au tenancier, une chambre s'ouvrait sur les dessous luxurieux d'une fille. Le vice s'étalait sans honte.
Les lectures saintes que je psalmodiais chaque dimanche ne touchaient que de pauvres ouailles, mères endeuillées, galopins trop jeunes encore pour courir les rues avec leur lance-pierre, sans compter aux premiers rangs des notables en redingote, élite soucieuse du paraître. Le mal s'étendait largement au-dehors. Les pêcheurs ne faisaient jamais le premier pas, aucun repenti ne sollicitait mes conseils et mes prières : c'était donc mon rôle d'aller à leur rencontre, le mal prospérait. Mes pas me menèrent naturellement vers le pénitencier. Je me chargeai dès lors de visites régulières aux prisonniers, pour leur apporter la parole divine et les amener aux regrets de leurs actes. La miséricorde de Dieu s'étendrait aux âmes de ceux qui remettaient leur vie en Lui.

J'avais entendu parler de Mad, bien sûr. Son nom avait fait couler beaucoup d'encre ; le journal relatait ses faits et gestes, entre exaspération et un brin d'admiration. Le personnage était ambigu, de même que les sentiments qu'il suscitait. C'était une femme, tout d'abord : la surprise fut de taille lorsqu'on le comprit, environ un mois après ses premiers assauts. Mad était le diminutif de Madeleine, tout autant que le qualificatif de sa folie. Bien souvent Mad avait négligé des larcins faciles, des bourses qu'on lui tendait, pour s'attaquer à forte partie. Dans quel objectif ? On lui croyait l'esprit dérangé. Quelques voix s'élevaient pour défendre la thèse d'un but mystérieux. L'exécution d'une promesse ? Une vengeance ? Je n'étais pas sans penser moi-même que Mad différait des bandits qui sévissaient dans la région. Elle œuvrait seule, semblait-il, et avec beaucoup de méthode, sans jamais s'en prendre aux convois de voyageurs.
Mad était restée jusqu'alors une énigme. Lorsque je rendis visite à la prisonnière, je ne pensais pas être éclairé à ce sujet. Il m'importait de guider ses dernières heures et de l'accompagner dans le chemin d'un complet abandon à la volonté du re et de notre Rédempteur, Son Fils. Mad serait pendue, haut et court, car tel avait été le verdict prononcé à son encontre. Le spectacle de cette mise à mort serait suivi avec intérêt par les habitants. Quand j'y pensai, un frisson me parcourut. Cette fascination malsaine pour le macabre ne me disait rien qui vaille. N'était-ce pas se laisser acculer à la haine du prochain que de vouloir regarder sa souffrance en face ? S'en délecter ? Je pensais au sermon qu'il me faudrait écrire... Oui, vous tous, cette criminelle est votre sœur en le Christ !
C'est dans cet état d'esprit, agité, sans doute surmené, que je franchis la porte de la cellule. Mad se tenait prostrée et ne cilla pas à mon entrée. J'eus tout le loisir de l'observer. Les entailles et la crasse de son visage, les cheveux coupés courts, les vêtements en lambeaux. Ma tâche serait rude, car je devinais que Mad n'avait plus goût à rien et se laissait glisser dans la pente dangereuse de l'anéantissement, en bas de laquelle l'attendait la damnation. Aucune parole de réconfort ne semblait pouvoir la toucher. Comment m'y prendre pour que la foi se répandît en son cœur et lui permît de sauver son âme ? Je restais silencieux, à la guetter, gêné de me trouver le représentant d'une autorité morale, debout, libre... Le contraste entre ma condition et celle d'un condamné ne m'avait jamais semblé si fort ni si pesant. Qui étais-je ? Quels droits mon statut me conférait-il ? Sois un modèle pour tous, en parole, en conduite, en charité, en esprit, en foi, en pureté. Le verset de Timothée fixait une ligne de conduite que ma propre faiblesse d'être humain était loin d'atteindre. Une saine humilité était nécessaire à l'exercice de son pastorat ; il ne fallait cependant pas que le doute empêchât toute action. Or, ce doute paralysant me touchait alors quand j'observais Mad... Je partis ainsi, brusquement, sans lui avoir adressé la parole, sans avoir tenté la moindre approche.
C'était un aveu d'impuissance que je regrettai aussitôt rentré chez moi. Aussi, le lendemain, je repris courage et retournai dans sa cellule. La jeune femme me regarda droit dans les yeux. Plus qu'aucun prisonnieret pourtant combien en avais-je vu d'apparence plus terrifiante que la sienne !Mad m'intimidait. Je ne fis qu'un signe de tête pour la saluer, tant les mots semblaient ne plus vouloir franchir la porte de mes lèvres. Je me pris à douter de mon aptitude à apporter réconfort aux affligés, puisque je n'arrivais pas à surmonter le trouble que cette prisonnière suscitait. Quel regard elle avait ! Ce même regard qui m'avait fixé, alors que je me trouvais dans ma dixième année... Un lointain souvenir qui se rappelait si souvent à moi...
Je me reprochai intérieurement ma couardise, repensai à la tâche sacrée qui était la mienne pour trouver la force nécessaire au dépassement de mon étrange état de malaise. C'est alors qu'elle m'adressa elle-même la parole, me délivrant ainsi d'un grand poids.


III

« J'ai pleine conscience de mes actes et je les revendique. Mais pour en comprendre le sens, il faut me connaître. Je n'en ai plus pour longtemps, j'aurai une corde autour du cou d'ici peu. Je vous fais dépositaire de mon histoire. », murmura-t-elle.
Je décidai de m'asseoir à mon tour à terre pour me mettre à portée de sa voix et me tins coi, attentif à son récit que je retranscrivis aussi fidèlement que possible.
« Mon père est en Amérique. Il vivait à New York il travaillait comme docker. C'est sur le port qu'il a rencontré ma mère, alors qu'elle débarquait d'un navire provenant d'Irlande. Ma mère était accompagnée d'une vieille tante, à laquelle je dois le prénom français que je porte. C'était la seule parente qui lui restait : la grande famine qui n'en était alors pourtant qu'à ses premières victimes avait décimé sa famille. Père, mère, et ses cinq frères et sœurs... Mon père était lui-même seul au monde et survenait à ses besoins depuis l'âge de huit ans, à partir du moment il avait fui un orphelinat les coups de fouet pleuvaient sur ses épaules. Mes parents se sont mariés peu de temps après leur rencontre, la tante Madeleine est passée de vie à trépas quelques semaines plus tard. Les conditions de travail sur le port étaient difficiles, quand il y avait du travail, car la concurrence était rude entre les dockers qui louaient leurs bras à la journée... Mon père revenait parfois bredouille ; l'argent manquait au foyer, même en ajoutant les petits travaux de reprisage qu'effectuait ma mère. Elle-même avait déjà fui l'Irlande, elle n'était pas attachée à New York les migrants affluaient navire après navire. Comme elle n'avait connu que les verts paysages de sa terre natale, elle se sentait oppressée dans cette ville la misère étendait ses tentacules. Aussi, malgré sa grossesse, elle a accepté de prendre la route de l'Ouest, vers cette Californie l'on disait que l'or serait à la portée des hommes valeureux. Je suis née au cours de cette longue traversée. Partir dans son état était une folie que Dieu ne lui a pas pardonnée. Ma mère ne s'est pas remise de ses couches, elle est morte quelques jours après ma naissance et a été enterrée en chemin, près des montagnes Rocheuses, le long de la rivière Cache la poudre. Mon père a alors stoppé son voyage. Il a cherché à me placer auprès d'une nourrice, tentant sa chance de ville en ville et de ferme en ferme. Il a eu de la chance dans son malheur en trouvait la protection qu'il recherchait pour moi auprès de Madame Molly. Mon père m'a confiée à elle comme on dépose un colis, puis est parti. Je ne l'ai jamais revu et j'ignore s'il vit encore. Tout ce que je connais de cette histoire, je le tiens de ma nourrice, auprès de laquelle mon père s'est épanché avant de me laisser... »

Mad marqua une pause. Mes pensées s'éloignèrent aussitôt de la cellule du pénitencier. Je me rappelai ma propre famille, ma mère surtout, car j'avais perdu mon père à l'âge de quatre ans et je ne conservai plus que l'image diffuse d'un homme de haute stature qui me portait à bout de bras... La vie était rude, alors, et pourtant sereine, bercée par les prières et les chants liturgiques que fredonnait ma mère à toute heure du jour. Sa foi simple et belle avait réussi à insuffler dans mon cœur le désir de me consacrer à Dieu... J'avais eu une enfance heureuse et je remerciai en cet instant le Seigneur pour Ses bontés. Combien d'enfants grandissaient sans amour et sans protection ! Quand Mad reprit son récit, je sursautai.
« Mary, comme je l'ai rapidement appelée, était une femme corpulente, pleine d'entrain, qui pendant mes jeunes années me faisait boire du lait fraîchement trait de ses vaches. Elle était veuve, sans enfant, et menait de main de maître le domaine. Elle m'a élevée comme sa fille tout autant que son apprenti. Je tiens d'elle et de Sam Lee, son second, tout ce que je sais. Sam avait du sang indien dans les veines. Il connaissait les plantes qui guérissaient et savait calmer les chevaux mieux que quiconque. C'était une sorte de sage que l'on venait consulter pour une mauvaise fièvre ou une rage de dents. Il était une aide précieuse pour chacun, estimé pour ses connaissances et sa fidélité à toute épreuve. Bien sûr, quelques voix dissonantes se faisaient entendre à son sujet. Même l'homme le plus honnête ne se fait pas uniquement des amis, mais tous les sous-entendus colportés dans le voisinage sur l'étrange couple que Mary et lui formaient n'étaient que pure calomnie, j'en suis certaine...
Jeune encore, j'ai appris grâce à Mary et à Sam le maniement des armes. La petite fille que j'étais ne serait jamais devenue une dame de la bonne société. Sans être disgracieuse, je n'émerveillais pas par ma beauté. Je n'aurais pas trouvé de mari suffisamment riche pour vivre à l'abri du besoin. J'avais par contre l'esprit vif, cette qualité si inutile aux épouses, mais si importante aux yeux de mes protecteurs pour qui fille ou gars devait dans ce monde tirer son épingle du jeu. À l'esprit vif s'alliaient agilité et souplesse. Et précision au tir. La ferme était isolée et pouvait attirer les convoitises, même si nous n'étions pas très riches. Il fallait pouvoir se défendre. Je fus donc une élève attentive.
Nous avons vécu paisiblement jusqu'à ce jour de septembre le vent soulevait la terre sèche et faisait rouler les graviers. Nous avons soigneusement fermé les volets et les portes, redoutant la tempête qui s'annonçait... Elle a été plus clémente que l'attaque que nous avons alors subie.
Ils étaient trois. Personne ne les a entendu approcher, tant le vent soufflait. Il était tard et, harassée, je dormais sous le toit on m'avait aménagé une chambre. Les trois hommes ont surpris Mary dans la grande salle, à ses travaux de couture sous la flamme vacillante d'une lanterne. Ma bienfaitrice ne pouvait pas dormir ; les bêtes s'agitaient dans l'étable et dans l'écurie proches : elle n'était pas rassurée par la tournure prise par la nuit. Le vent entraînait dans sa danse lugubre des cailloux de plus en plus lourds, de plus en plus vite. Fous auraient été ceux qui comptaient sortir de chez eux lorsqu'une telle tempête s'annonçait ! Les trois hommes sont entrés sans qu'on les remarque et ont tué de sang-froid Mary. Une balle en pleine tête. Une exécution sommaire. L'impact de la balle a formé dans son crâne un trou aux contours nets. Le corps de la veuve est tombé à terre, alors que ses doigts serraient, dans leur raideur cadavérique, les pantalons qu'elle reprisait lorsque la mort l'a fauchée. Les armoires ont été ouvertes, les tiroirs évidés, les économies prises. Les bandits ont retiré jusqu'à l'anneau d'or qui encerclait l'annulaire de la pauvre Mary.
Quand Sam est arrivé, alerté par le coup de feu, une fusillade s'en est suivie. C'est ce qui m'a tirée de mon sommeil. À trois contre un, Sam n'a pas fait le poids. Il a été criblé de balles. Ayant ramassé tout ce qui avait de la valeur, les bandits ont ensuite quitté les lieux, non sans avoir mis le feu à la ferme. Les flammes léchaient les poutres quand je me suis enfuie après avoir constaté la mort de mes protecteurs et celle de la servante, que les bandits avaient cueillir dans son sommeil en l'étranglant avant de s'attaquer à Mary. J'étais sauve, mais seule...
Je ne savais pas alors, et l'ai appris insidieusement plus tard : les trois malfrats n'ont pas agi de leur propre chef. Mary avait reçu une proposition de rachat de ses terres, qu'elle avait refusée. Les commanditaires de ces meurtres étaient les membres d'une organisation qui entendait gérer les affaires de l'État dans leur intérêt. »
J'interrompis Mad. Son récit se dévidait jusqu'alors lentement, dans un ordre chronologique. De fait, cette soudaine ellipse me déconcertait. Comment avait-elle eu accès à ces informations ? Qui, selon elle, était derrière ces meurtres ? Pourquoi ?
Il fallait pour éclairer cette histoire remonter encore une fois le temps. Il m'était cependant impossible de rester davantage : le soir nous enveloppait de son ombre. Je sortis lorsqu'un gardien apporta un bol de haricots à la prisonnière et promis de revenir le lendemain matin.