Sous
le nom de plume Lily Dufresne, j'ai publié il y a quelques années une
novella dans le genre du western aux éditions Neobook.
Cet
eBook ne n'est pas vendu du tout (4 exemplaires vient de me dire
l'éditrice). Cela ne servait à rien de le conserver dans le catalogue de
cette maison d'édition. Mon contrat me permettait de reprendre mes
droits après trois ans de publication, or cela fait plus de trois ans
que ce texte dort. J'ai donc décidé de vous le proposer ici.
La collection Novelas dont Le Bras de Dieu
faisait partie proposait des novellas de 50 000 signes environ. C'est
un peu long pour lire directement sur ce blog, me semble-t-il. C'est
pourquoi j'ai créé un fichier PDF que vous pouvez télécharger gratuitement en suivant le lien. Pour celles et ceux qui veulent tout de même lire en ligne, le texte suit, en plusieurs morceaux vu que Blogspot semble refuser l'intégralité du texte...
Une
dernière précision : j'écris majoritairement des textes
érotiques. Majoritairement ne veut pas dire uniquement, bien que les
exceptions soient rares. Le Bras de Dieu fait partie de ces
exceptions. Je ne garantis pas que les amateurs de westerns y trouveront
leur compte. Au fond, ma seule référence dans le domaine, ce doit être
Lucky Luke... C'est donc plein de clichés, de déjà-vu, etc. Bonne
lecture tout de même !
I
Ses
cheveux
blonds
étaient
courts,
et
j'imaginais
sans
peine
Mad
taillant
à
l'aveugle,
d'un
geste
décidé,
les
mèches
qui
se
présentaient
sous
ses
ciseaux.
Le
visage
était
crasseux,
zébré
d'entailles
fraîches.
On
lui
avait
fait
mordre
la
poussière.
Un
chapeau à larges bords couvrait
sa
tête.
Ses
vêtements
étaient
en
loques.
Mad
était
assise
à
terre,
prostrée.
Qui
aurait
reconnu
en
cette
jeune
femme
le
gangster
traqué
par
les
plus
habiles
chasseurs
de
prime ?
Souple,
vive,
bonne
cavalière
habile
à
dissimuler
sa
trace,
elle
semait
immanquablement
ses
poursuivants
depuis
un
peu
plus
d'un
an.
Elle
avait
semblé
insaisissable...
Jusqu'à
ce
jour
où
une
balle
logée
dans
sa
cuisse
l'avait
suffisamment
affaiblie
pour
qu'elle
se
laissât
cueillir
sans
résistance.
Pourtant,
même
blessée
auparavant,
jamais
elle
n'avait
obtempéré
aux
semonces,
jamais
elle
n'avait
plié...
Elle
semblait
indomptable.
Elle
avait
pourtant
brutalement
déclaré
forfait.
Bill
le
fâché
n'était
pas
peu
fier
d'avoir
capturé
cette
garce.
Il
aimait
claironner
son
exploit
devant
un
auditoire.
Les
tournées
au
saloon
s'étaient
ainsi
enchaînées
alors
qu'il
racontait
et
racontait
encore,
en
l'enjolivant
à
chaque
fois
de
quelques
détails,
le
récit
de
la
capture.
Il
ne
savait
peut-être
plus
à
présent
démêler
le
vrai
du
faux,
tant
il
croyait
à
sa
gloire !
Le
personnage
n'était
sans
doute
guère
recommandable,
et
jusqu'alors
peu
auraient
apprécié
sa
compagnie,
mais
son
récit
exerçait
une
réelle
attraction
auprès
de
la
population
locale
comme
auprès
des
voyageurs,
et
le
barman
voyait
d'un
bon
œil
l'attroupement
qui
se
formait
autour
de
lui
à
chacun
de
ses
récits.
Le
whisky
coulait,
les
pièces
s'amassaient
dans
le
tiroir-caisse.
Il
ne
pouvait
que
se
frotter
les
mains.
Le
joli
pactole
empoché
en
livrant
Mad
aux
autorités
et
les
lauriers
que
chacun
lui
attribuait
avaient
ouvert
à
Bill
le
fâché
les
portes
du
club
privé
du
Dr
Simon.
Si
quelque
étranger,
ignorant
des
coutumes
locales,
s'asseyait
au
fond
du
saloon
à
la
table
réservée
au
Dr
Simon
et
aux
initiés,
un
homme
de
main
y
mettait
bon
ordre
en
chassant
l'intrus.
Pour
rejoindre
les
parties
de
poker
qui
s'y
déroulaient,
il
fallait
recevoir
une
invitation
du
Dr
Simon
en
personne.
Le
lendemain
de
son
exploit,
Bill
avait
reçu
le
précieux
sésame.
Depuis
ce
jour,
il
honorait
l'invitation
reçue,
de
manière
assidue :
c'était
une
distinction
rare
dont
il
fallait
profiter.
Cependant,
peu
habitué
aux
us
du
groupe,
aux
signes
d'intelligence
qui
scellaient
des
alliances,
il
s'y
faisait
plumer.
Le
Dr
Simon
lui-même
était
un
excellent
joueur.
Sa
fine
connaissance
de
la
psychologie
était
une
auxiliaire
précieuse
lorsqu'il
s'agissait
d'identifier
qui
bluffait.
Vu
la
fréquence
de
ses
échecs,
Bill
ne
tiendrait
plus
longtemps
les
paris
et
serait
chassé
du
club...
Pour
autant,
il
ne
perdait
pas
l'air
ravi
du
parvenu
heureux
de
son
aubaine.
Suite
à
son
exploit,
Bill
était
devenu
une
célébrité
à
vingt
lieues
à
la
ronde,
et
personne
ne
le
lui
ôterait
son
prestige,
même
lorsqu'il
aurait
dépensé
tout
son
argent !
Les
gens
qu'il
croisait
le
saluaient.
Betsy,
la
couturière
qui
possédait
sa
propre
échoppe
dans
la
grand
rue,
lui
souriait
à
présent
aimablement.
Quand
il
voudrait
se
ranger,
sûr
que
celle-là
ne
ferait
pas
la
fine
bouche.
En
repensant
à
ses
formes
avenantes,
il
eut
quelques
pensées
lubriques.
Les
attraits
de
Betsy
ne
se
résumaient
cependant
pas
aux
appétits
charnels
que
ses
charmes
suscitaient :
il
pensait
à
son
bien
pécuniaire
et
à
sa
ténacité
au
travail.
Elle
en
abattait,
et
proprement,
qui
plus
est.
Ce
serait
une
assurance
en
cas
de
coup
dur
d'avoir
une
femme
telle
que
celle-là.
Bill,
même
en
vacillant
après
avoir
ingurgité
une
bouteille
d'alcool,
savait
se
tenir
avec
les
dames.
Il
soulevait
son
chapeau
devant
la
devanture
de
la
rondelette
Betsy
et
s'inclinait
un
instant.
L'exploit
de
cet
homme
ne
tenait
à
rien,
en
réalité.
Bill
le
fâché
s'était
même
comporté
en
lâche,
mais
qui
pouvait
rectifier
son
récit,
si
ce
n'était
la
prisonnière
elle-même,
muette
depuis
son
arrivée
au
pénitencier ?
L'emprisonnement
de
Mad
ne
fut
pas
le
résultat
d'une
longue
course
poursuite
où
des
coups
de
feu
tonnaient
de
part
et
d'autre
comme
le
bonimenteur
le
racontait.
Bill
avait
simplement
saisi
sa
chance
en
passant
près
d'un
campement
de
nuit.
Mad
dormait.
Bill
la
reconnut.
Il
lui
tira
dans
la
cuisse
pour
s'assurer
de
sa
docilité
et
attacha
solidement
ses
membres
avec
des
cordes.
Bâillonnée,
Mad
fut
juchée
sur
un
cheval
comme
une
marchandise
et
conduite
auprès
du
shérif
de
la
ville
la
plus
proche.
C'était
tout.
Arrivée
dans
sa
cellule,
Mad
semblait
avoir
renoncé
à
toute
agressivité,
à
toute
tentative
de
rébellion.
Elle
avait
pris
le
parti
de
se
taire
et
d'attendre
la
fin.
Sa
condamnation
fut
rapidement
prononcée.
Il
ne
lui
restait
que
quelques
jours
pour
expier
ses
fautes
lorsque
j'entrai
en
scène.
II
La
ligne
de
chemin
de
fer
transcontinentale
m'avait
amené,
deux
ans
plus
tôt,
dans
ces
terres
de
l'Ouest
sauvage
où
les
hommes
arrivaient
en
nombre,
où
les
promesses
de
félicité
faisaient
oublier
aux
fidèles
qu'une
vie
de
labeur
attend
chaque
homme
avant
le
bonheur
céleste
et
que
nous
ne
sommes
rien
sans
le
Père
qui
nous
a
créés.
Récemment
consacré
pasteur,
j'étais
gaillard
et
doté
d'une
force
physique
qui
me
permit
de
réparer
les
avanies
survenues
sur
un
lieu
de
culte
bâti
à
la
hâte
et
vite
délaissé.
Ce
fut
ma
première
préoccupation.
J'y
consacrai
toute
mon
énergie
plusieurs
semaines
durant.
Une
joie
naïve
m'anima
lorsque
j'ôtai
la
statue
de
l'ange
Moroni
et
la
remplaçai
par
la
croix
de
Notre
Seigneur.
J'étais
jeune,
que
Dieu
pardonne
mon
inexpérience !
C'est
dans
son
cœur
que
chacun
prie,
qu'importe
le
lieu
dans
lequel
on
se
trouve !
Ne
l'avais-je
pas
alors
oublié ?
Des
êtres
humains
étaient
à
ma
charge
et
non
des
murs
de
pierre
et
une
croix
de
bois !
Les
tâches
ne
manquaient
pourtant
pas
dans
cette
petite
ville
de
l'Utah.
On
ne
connaissait
plus
ni
père
ni
mère
quand
la
fortune
était
en
jeu.
La
découverte
d'un
filon
d'or
au
sortir
de
la
ville
avait
été
l'occasion
d'une
exécrable
ruée
où
les
uns
bousculaient
et
piétinaient
les
autres.
Deux
hommes
y
avaient
perdu
la
vie :
une
simple
querelle
au
sujet
de
la
possession
d'un
précieux
caillou
avait
terminé
en
règlement
de
compte
meurtrier.
Pour
beaucoup,
le
séjour
à
C***
n'était
qu'une
halte
vers
des
ailleurs
où
couleraient,
croyaient-ils,
le
lait
et
le
miel.
Une
manne
pour
des
bandits
qui
les
détroussaient
à
la
nuit
tombante
aux
abords
d'un
l'hôtel
ou
en
plein
jour
en
interceptant
une
diligence.
Pour
une
bourse
sortie
trop
ostensiblement
la
veille,
des
voyageurs
se
faisaient
assassiner
dans
leur
sommeil.
Le
vol
appelait
le
meurtre...
Autre
crime
que
celui-ci :
certains
voyageurs
se
délassaient
de
leur
longue
chevauchée
en
fréquentant
des
maisons
de
passe.
Après
un
verre
d'alcool
payé
à
prix
fort
au
tenancier,
une
chambre
s'ouvrait
sur
les
dessous
luxurieux
d'une
fille.
Le
vice
s'étalait
sans
honte.
Les
lectures
saintes
que
je
psalmodiais
chaque
dimanche
ne
touchaient
que
de
pauvres
ouailles,
mères
endeuillées,
galopins
trop
jeunes
encore
pour
courir
les
rues
avec
leur
lance-pierre,
sans
compter
aux
premiers
rangs
des
notables
en
redingote,
élite
soucieuse
du
paraître.
Le
mal
s'étendait
largement
au-dehors.
Les
pêcheurs
ne
faisaient
jamais
le
premier
pas,
aucun
repenti
ne
sollicitait
mes
conseils
et
mes
prières :
c'était
donc
mon
rôle
d'aller
à
leur
rencontre,
là
où
le
mal
prospérait.
Mes
pas
me
menèrent
naturellement
vers
le
pénitencier.
Je
me
chargeai
dès
lors
de
visites
régulières
aux
prisonniers,
pour
leur
apporter
la
parole
divine
et
les
amener
aux
regrets
de
leurs
actes.
La
miséricorde
de
Dieu
s'étendrait
aux
âmes
de
ceux
qui
remettaient
leur
vie
en
Lui.
J'avais
entendu
parler
de
Mad,
bien
sûr.
Son
nom
avait
fait
couler
beaucoup
d'encre ;
le
journal
relatait
ses
faits
et
gestes,
entre
exaspération
et
un
brin
d'admiration.
Le
personnage
était
ambigu,
de même que
les
sentiments
qu'il
suscitait.
C'était
une
femme,
tout
d'abord :
la
surprise
fut
de
taille
lorsqu'on
le
comprit,
environ
un
mois
après
ses
premiers
assauts.
Mad
était
le
diminutif
de
Madeleine,
tout
autant
que
le
qualificatif
de
sa
folie.
Bien
souvent
Mad
avait
négligé
des
larcins
faciles,
des
bourses
qu'on
lui
tendait,
pour
s'attaquer
à
forte
partie.
Dans
quel
objectif ?
On
lui
croyait
l'esprit
dérangé.
Quelques
voix
s'élevaient
pour
défendre
la
thèse
d'un
but
mystérieux.
L'exécution
d'une
promesse ?
Une
vengeance ?
Je
n'étais
pas
sans
penser
moi-même
que
Mad
différait
des
bandits
qui
sévissaient
dans
la
région.
Elle
œuvrait
seule,
semblait-il,
et avec beaucoup de méthode, sans jamais s'en prendre aux
convois
de
voyageurs.
Mad
était
restée
jusqu'alors
une
énigme.
Lorsque
je
rendis
visite
à
la
prisonnière,
je
ne
pensais
pas
être
éclairé
à
ce
sujet.
Il
m'importait
de
guider
ses
dernières
heures
et
de
l'accompagner
dans
le
chemin
d'un
complet
abandon
à
la
volonté
du
Père
et
de
notre
Rédempteur,
Son
Fils.
Mad
serait
pendue,
haut
et
court,
car
tel
avait
été
le
verdict
prononcé
à
son
encontre.
Le
spectacle
de
cette
mise
à
mort
serait
suivi
avec
intérêt
par
les
habitants.
Quand
j'y
pensai,
un
frisson
me
parcourut.
Cette
fascination
malsaine
pour
le
macabre
ne
me
disait
rien
qui
vaille.
N'était-ce
pas
se
laisser
acculer
à
la
haine
du
prochain
que
de
vouloir
regarder
sa
souffrance
en
face ?
S'en
délecter ?
Je
pensais
au
sermon
qu'il
me
faudrait
écrire...
Oui,
vous
tous,
cette
criminelle
est
votre
sœur
en
le
Christ !
C'est
dans
cet
état
d'esprit,
agité,
sans
doute
surmené,
que
je
franchis
la
porte
de
la
cellule.
Mad
se
tenait
prostrée
et
ne
cilla
pas
à
mon
entrée.
J'eus
tout
le
loisir
de
l'observer.
Les
entailles
et
la
crasse
de
son
visage,
les
cheveux
coupés
courts,
les
vêtements
en
lambeaux.
Ma
tâche
serait
rude,
car
je
devinais
que
Mad
n'avait
plus
goût
à
rien
et
se
laissait
glisser
dans
la
pente
dangereuse
de
l'anéantissement,
en
bas
de
laquelle
l'attendait
la
damnation.
Aucune
parole
de
réconfort
ne
semblait
pouvoir
la
toucher.
Comment
m'y
prendre
pour
que
la
foi
se
répandît
en
son
cœur
et
lui
permît
de
sauver
son
âme ?
Je
restais
silencieux,
à
la
guetter,
gêné
de
me
trouver
le
représentant
d'une
autorité
morale,
debout,
libre...
Le
contraste
entre
ma
condition
et
celle
d'un
condamné
ne
m'avait
jamais
semblé
si
fort
ni
si
pesant.
Qui
étais-je ?
Quels
droits
mon
statut
me
conférait-il ?
Sois
un
modèle
pour
tous,
en
parole,
en
conduite,
en
charité,
en
esprit,
en
foi,
en
pureté.
Le
verset
de
Timothée
fixait
une
ligne
de
conduite
que
ma
propre
faiblesse
d'être
humain
était
loin
d'atteindre.
Une
saine
humilité
était
nécessaire
à
l'exercice
de
son
pastorat ;
il
ne
fallait
cependant
pas
que
le
doute
empêchât
toute
action.
Or,
ce
doute
paralysant
me
touchait
alors
quand
j'observais
Mad...
Je
partis
ainsi,
brusquement,
sans
lui
avoir
adressé
la
parole,
sans
avoir
tenté
la
moindre
approche.
C'était
un
aveu
d'impuissance
que
je
regrettai
aussitôt
rentré
chez
moi.
Aussi,
le
lendemain,
je
repris
courage
et
retournai
dans
sa
cellule.
La
jeune
femme
me
regarda
droit
dans
les
yeux.
Plus
qu'aucun
prisonnier
— et
pourtant
combien
en
avais-je
vu
d'apparence
plus
terrifiante
que
la
sienne !
— Mad
m'intimidait.
Je
ne
fis
qu'un
signe
de
tête
pour
la
saluer,
tant
les
mots
semblaient
ne
plus
vouloir
franchir
la
porte
de
mes
lèvres.
Je
me
pris
à
douter
de
mon
aptitude
à
apporter
réconfort
aux
affligés,
puisque
je
n'arrivais
pas
à
surmonter
le
trouble
que
cette
prisonnière
suscitait.
Quel
regard
elle
avait !
Ce
même
regard
qui
m'avait
fixé,
alors
que
je
me
trouvais
dans
ma
dixième
année...
Un
lointain
souvenir
qui
se
rappelait
si
souvent
à
moi...
Je
me
reprochai
intérieurement
ma
couardise,
repensai
à
la
tâche
sacrée
qui
était
la
mienne
pour
trouver
la
force
nécessaire
au
dépassement
de
mon
étrange
état
de
malaise.
C'est
alors
qu'elle
m'adressa
elle-même
la
parole,
me
délivrant
ainsi
d'un
grand
poids.
III
« J'ai
pleine
conscience
de
mes
actes
et
je
les
revendique.
Mais
pour
en
comprendre
le
sens,
il
faut
me
connaître.
Je
n'en
ai
plus
pour
longtemps,
j'aurai
une
corde
autour
du
cou
d'ici
peu.
Je
vous
fais
dépositaire
de
mon
histoire. »,
murmura-t-elle.
Je
décidai
de
m'asseoir
à
mon
tour
à
terre
pour
me
mettre
à
portée
de
sa
voix
et
me
tins
coi,
attentif
à
son
récit
que
je
retranscrivis
aussi
fidèlement
que
possible.
« Mon
père
est
né
en
Amérique.
Il
vivait
à
New
York
où
il
travaillait
comme
docker.
C'est
sur
le
port
qu'il
a
rencontré
ma
mère,
alors
qu'elle
débarquait
d'un
navire
provenant
d'Irlande.
Ma
mère
était
accompagnée
d'une
vieille
tante,
à
laquelle
je
dois
le
prénom
français
que
je
porte.
C'était
la
seule
parente
qui
lui
restait :
la
grande
famine
qui
n'en
était
alors
pourtant
qu'à
ses
premières
victimes
avait
décimé
sa
famille.
Père,
mère,
et
ses
cinq
frères
et
sœurs...
Mon
père
était
lui-même
seul
au
monde
et
survenait
à
ses
besoins
depuis
l'âge
de
huit
ans,
à
partir
du
moment
où
il
avait
fui
un
orphelinat
où
les
coups
de
fouet
pleuvaient
sur
ses
épaules.
Mes
parents
se
sont
mariés
peu
de
temps
après
leur
rencontre,
la
tante
Madeleine
est
passée
de
vie
à
trépas
quelques
semaines
plus
tard.
Les
conditions
de
travail
sur
le
port
étaient
difficiles,
quand
il
y
avait
du
travail,
car
la
concurrence
était
rude
entre
les
dockers
qui
louaient
leurs
bras
à
la
journée...
Mon
père
revenait
parfois
bredouille ;
l'argent
manquait
au
foyer,
même
en
ajoutant
les
petits
travaux
de
reprisage
qu'effectuait
ma
mère.
Elle-même
avait
déjà
fui
l'Irlande,
elle
n'était
pas
attachée
à
New
York
où
les
migrants
affluaient
navire
après
navire.
Comme
elle
n'avait
connu
que
les
verts
paysages
de
sa
terre
natale,
elle
se
sentait
oppressée
dans
cette
ville
où
la
misère
étendait
ses
tentacules.
Aussi,
malgré
sa
grossesse,
elle
a
accepté
de
prendre
la
route
de
l'Ouest,
vers
cette
Californie
où
l'on
disait
que
l'or
serait
à
la
portée
des
hommes
valeureux.
Je
suis
née
au
cours
de
cette
longue
traversée.
Partir
dans
son
état
était
une
folie
que
Dieu
ne
lui
a
pas
pardonnée.
Ma
mère
ne
s'est
pas
remise
de
ses
couches,
elle
est
morte
quelques
jours
après
ma
naissance
et
a
été
enterrée
en
chemin,
près
des
montagnes
Rocheuses,
le
long
de
la
rivière
Cache
la
poudre.
Mon
père
a
alors
stoppé
son
voyage.
Il
a
cherché
à
me
placer
auprès
d'une
nourrice,
tentant
sa
chance
de
ville
en
ville
et
de
ferme
en
ferme.
Il
a
eu
de
la
chance
dans
son
malheur
en
trouvait
la
protection
qu'il
recherchait
pour
moi
auprès
de
Madame
Molly.
Mon
père
m'a
confiée
à
elle
comme
on
dépose
un
colis,
puis
est
parti.
Je
ne
l'ai
jamais
revu
et
j'ignore
s'il
vit
encore.
Tout
ce
que
je
connais
de
cette
histoire,
je
le
tiens
de
ma
nourrice,
auprès
de
laquelle
mon
père
s'est
épanché
avant
de
me
laisser... »
Mad
marqua
une
pause.
Mes
pensées
s'éloignèrent
aussitôt
de
la
cellule
du
pénitencier.
Je
me
rappelai
ma
propre
famille,
ma
mère
surtout,
car
j'avais
perdu
mon
père
à
l'âge
de
quatre
ans
et
je
ne
conservai
plus
que
l'image
diffuse
d'un
homme
de
haute
stature
qui
me
portait
à
bout
de
bras...
La
vie
était
rude,
alors,
et
pourtant
sereine,
bercée
par
les
prières
et
les
chants
liturgiques
que
fredonnait
ma
mère
à
toute
heure
du
jour.
Sa
foi
simple
et
belle
avait
réussi
à
insuffler
dans
mon
cœur
le
désir
de
me
consacrer
à
Dieu...
J'avais
eu
une
enfance
heureuse
et
je
remerciai
en
cet
instant
le
Seigneur
pour
Ses
bontés.
Combien
d'enfants
grandissaient
sans
amour
et
sans
protection !
Quand
Mad
reprit
son
récit,
je
sursautai.
« Mary,
comme
je
l'ai
rapidement
appelée,
était
une
femme
corpulente,
pleine
d'entrain,
qui
pendant
mes
jeunes
années
me
faisait
boire
du
lait
fraîchement
trait
de
ses
vaches.
Elle
était
veuve,
sans
enfant,
et
menait
de
main
de
maître
le
domaine.
Elle
m'a
élevée
comme
sa
fille
tout
autant
que
son
apprenti.
Je
tiens
d'elle
et
de
Sam
Lee,
son
second,
tout
ce
que
je
sais.
Sam
avait
du
sang
indien
dans
les
veines.
Il
connaissait
les
plantes
qui
guérissaient
et
savait
calmer
les
chevaux
mieux
que
quiconque.
C'était
une
sorte
de
sage
que
l'on
venait
consulter
pour
une
mauvaise
fièvre
ou
une
rage
de
dents.
Il
était
une
aide
précieuse
pour
chacun,
estimé
pour
ses
connaissances
et
sa
fidélité
à
toute
épreuve.
Bien
sûr,
quelques
voix
dissonantes
se
faisaient
entendre
à
son
sujet.
Même
l'homme
le
plus
honnête
ne
se
fait
pas
uniquement
des
amis,
mais
tous
les
sous-entendus
colportés
dans
le
voisinage
sur
l'étrange
couple
que
Mary
et
lui
formaient
n'étaient
que
pure
calomnie,
j'en
suis
certaine...
Jeune
encore,
j'ai
appris
grâce
à
Mary
et
à
Sam
le
maniement
des
armes.
La
petite
fille
que
j'étais
ne
serait
jamais
devenue
une
dame
de
la
bonne
société.
Sans
être
disgracieuse,
je
n'émerveillais
pas
par
ma
beauté.
Je
n'aurais
pas
trouvé
de
mari
suffisamment
riche
pour
vivre
à
l'abri
du
besoin.
J'avais
par
contre
l'esprit
vif,
cette
qualité
si
inutile
aux
épouses,
mais
si
importante
aux
yeux
de
mes
protecteurs
pour
qui
fille
ou
gars
devait
dans
ce
monde
tirer
son
épingle
du
jeu.
À
l'esprit
vif
s'alliaient
agilité
et
souplesse.
Et
précision
au
tir.
La
ferme
était
isolée
et
pouvait
attirer
les
convoitises,
même
si
nous
n'étions
pas
très
riches.
Il
fallait
pouvoir
se
défendre.
Je
fus
donc
une
élève
attentive.
Nous
avons
vécu
paisiblement
jusqu'à
ce
jour
de
septembre
où
le
vent
soulevait
la
terre
sèche
et
faisait
rouler
les
graviers.
Nous
avons
soigneusement
fermé
les
volets
et
les
portes,
redoutant
la
tempête
qui
s'annonçait...
Elle
a
été
plus
clémente
que
l'attaque
que
nous
avons
alors
subie.
Ils
étaient
trois.
Personne
ne
les
a
entendu
approcher,
tant
le
vent
soufflait.
Il
était
tard
et,
harassée,
je
dormais
sous
le
toit
où
on
m'avait
aménagé
une
chambre.
Les
trois
hommes
ont
surpris
Mary
dans
la
grande
salle,
à
ses
travaux
de
couture
sous
la
flamme
vacillante
d'une
lanterne.
Ma
bienfaitrice
ne
pouvait
pas
dormir ;
les
bêtes
s'agitaient
dans
l'étable
et
dans
l'écurie
proches :
elle
n'était
pas
rassurée
par
la
tournure
prise
par
la
nuit.
Le
vent
entraînait
dans
sa
danse
lugubre
des
cailloux
de
plus
en
plus
lourds,
de
plus
en
plus
vite.
Fous
auraient
été
ceux
qui
comptaient
sortir
de
chez
eux
lorsqu'une
telle
tempête
s'annonçait !
Les
trois
hommes
sont
entrés
sans
qu'on
les
remarque
et
ont
tué
de
sang-froid
Mary.
Une
balle
en
pleine
tête.
Une
exécution
sommaire.
L'impact
de
la
balle
a
formé
dans
son
crâne
un
trou
aux
contours
nets.
Le
corps
de
la
veuve
est
tombé
à
terre,
alors
que
ses
doigts
serraient,
dans
leur
raideur
cadavérique,
les
pantalons
qu'elle
reprisait
lorsque
la
mort
l'a
fauchée.
Les
armoires
ont
été
ouvertes,
les
tiroirs
évidés,
les
économies
prises.
Les
bandits
ont
retiré
jusqu'à
l'anneau
d'or
qui
encerclait
l'annulaire
de
la
pauvre
Mary.
Quand
Sam
est
arrivé,
alerté
par
le
coup
de
feu,
une
fusillade
s'en
est
suivie.
C'est
ce
qui
m'a
tirée
de
mon
sommeil.
À
trois
contre
un,
Sam
n'a
pas
fait
le
poids.
Il
a
été
criblé
de
balles.
Ayant
ramassé
tout
ce
qui
avait
de
la
valeur,
les
bandits
ont
ensuite
quitté
les
lieux,
non
sans
avoir
mis
le
feu
à
la
ferme.
Les
flammes
léchaient
les
poutres
quand
je
me
suis
enfuie
après
avoir
constaté
la
mort
de
mes
protecteurs
et
celle
de
la
servante,
que
les
bandits
avaient
dû
cueillir
dans
son
sommeil
en
l'étranglant
avant
de
s'attaquer
à
Mary.
J'étais
sauve,
mais
seule...
Je
ne
savais
pas
alors,
et
l'ai
appris
insidieusement
plus
tard :
les
trois
malfrats
n'ont
pas
agi
de
leur
propre
chef.
Mary
avait
reçu
une
proposition
de
rachat
de
ses
terres,
qu'elle
avait
refusée.
Les
commanditaires
de
ces
meurtres
étaient
les
membres
d'une
organisation
qui
entendait
gérer
les
affaires
de
l'État
dans
leur
intérêt. »
J'interrompis
Mad.
Son
récit
se
dévidait
jusqu'alors
lentement,
dans
un
ordre
chronologique.
De
fait,
cette
soudaine
ellipse
me
déconcertait.
Comment
avait-elle
eu
accès
à
ces
informations ?
Qui,
selon
elle,
était
derrière
ces
meurtres ?
Pourquoi ?
Il
fallait
pour
éclairer
cette
histoire
remonter
encore
une
fois
le
temps.
Il
m'était
cependant
impossible
de
rester
davantage :
le
soir
nous
enveloppait
de
son
ombre.
Je
sortis
lorsqu'un
gardien
apporta
un
bol
de
haricots
à
la
prisonnière
et
promis
de
revenir
le
lendemain
matin.