Ville d'eau

Ville d'eau est le premier texte que j'ai envoyé à La Musardine, un premier texte qui était une plaisanterie, écrite après le premier salon du livre érotique d'Evian. Il faisait référence au fait que Stéphane Rose, directeur de la collection Osez vos histoires de sexe, avait dit à mon mari qu'il fallait me botter les fesses (je crois que c'était le terme ou du moins c'est ce que mon mari m'a rapporté) pour que j'écrive et que j'envoie quelque chose pour sa collection. Bref, le texte n'est pas bon, il n'a pas été retenu pour le thème "voyeurisme", mais il m'a amusé et puis, il m'a donné envie d'écrire d'autres choses par la suite.

Je m'appelle Alice. Comme celle des merveilles et, petite fille, on me disait souvent d'arrêter de me mirer, que je risquais de passer au travers de la psyché. J'étais blonde, avec deux jolies nattes tressées. Les joues roses. Le charme de la Bavaroise moins les kilos. J'ai grandi et me suis épaissie, surtout de la poitrine.
Porter du 95C à seize ans n'est pas de tout repos. « Eh, Alice, je suis un chaud lapin, tu me cours après ? » me répétait sans cesse un petit vicieux qui pelotait les filles dans les toilettes. Mais j'étais chaste et baissais mon regard sur mes livres de cours.
Une blonde, pensez-vous ! Personne ne me prenait au sérieux ! Pour réussir mon bac avec la mention très bien, j'ai dégrafer mon corsage pendant les épreuves orales. Le professeur d'allemand n'a plus décollé ses yeux de mes seins et j'ai obtenu la note de 19,5 sur 20. Avec du recul, je me suis dit que la perfection aurait été atteinte si j'avais osé porter le coup de grâce d'un clin d'œil suggestif, assorti d'une vue directe sur ce qui proéminait sous mon chemisier blanc.
J'étais vierge. Je ne le suis pas restée dès ma première année d'études. Il était professeur de linguistique latine, avait le crâne dégarni et de petites lunettes rondes. Toutes les dix minutes, il repoussait de l'index sa monture vers ses yeux. Une manie, semble-t-il, puisque c'est ce même doigt qu'il a poussé dans mon con lors d'un tête-à-tête dans son bureau. Jai voulu une explication sur les diphtongues : il m'a mis la langue en deux endroits, la bouche, et j'ai cru étouffer, sur le clitoris et je me suis demandé ce qui m'arrivait. Le doigt est venu ensuite. Puis autre chose, mais je ne suis pas pour raconter des histoires salaces, pour qui me prenez-vous ?
Le téléphone arabe fonctionne très bien, même dans les universités françaises. Le dix-huitièmiste nous a fait plancher sur Voltaire, et lorsque le conte étudié a été Un petit mal pour un grand bien, j'ai découvert l'orgasme.
La première pénétration, je ne vais pas vous le cacher, a été un désastre. La verge toute verte de veines faisait un mouvement de pendule et je me suis demandé quand sonneraient les douze coups. Heureusement, son propriétaire était vieux, un peu asthmatique lorsqu'il ahanait en donnant des mouvements de bassin ; son éjaculation n'a pas tardé. Le voltairien, par contre, savait mener sa barque. Une fois amarré, il a tenu le cap. J'étais dans de beaux draps, les siens, puisqu'il avait une garçonnière à quelques minutes de son bureau : la pause de midi était une pause pour la baise, nous mangions un sandwich en nous rhabillant.
Le jour je me suis surprise à crier comme une truie, serrant et desserrant mes muscles pubbo-coccygiens autour du sexe un peu plus conséquent que de celui du latiniste, j'ai compris que c'en était fini de moi. Je serais définitivement une baiseuse, même avec un livre entre les mains.

Mes études se sont déroulées sans heurt, jusqu'à la Maîtrise. Chacun savait que j'aimais baiser. Je n'avais de notes moyennes qu'avec mes professeures. Il faut dire qu'elles approchaient toutes de la soixantaine et la ménopause les aigrissait. À soixante ans, les hommes peuvent avoir encore quelque fraîcheur au-dessus des couilles, même s'ils demandent un temps de récupération un peu long. Ils étaient heureusement en nombre suffisant pour que jen fisse ma semaine. C'est tout ce que je souhaitais. Ça et des diplômes.
Parce que les blagues sur les blondes me révulsaient, je me suis teinte en brune. Lio avait cependant chanté un truc à ce propos, je l'avais oublié, et on me rappelait souvent que je devrais compter sur les burnes. Je ne savais plus quelle couleur adopter, une folie s'est emparée de moi, je suis devenue rousse et, à vingt-deux ans, j'ai craqué : j'ai décidé de changer de vie.
Je me suis mariée, nous avons déménagé, tous ignoraient désormais ce passé sulfureux. L'Auvergne, ses volcans éteints, ses verts pâturages, son Saint-Nectaire odorant. J'ai tout aimé. J'ai légalement forniqué. Sont nés des enfants. Et puis le démon de la chair m'a tenaillée à nouveau. Je m'en suis ouvert à mon mari. « Écris ! », m'a-t-il conseillé. Compenser ma nymphomanie renaissante par l'écriture... Après tout, j'avais fait de brillantes études de lettres, non ? J'ai tu les séances particulières je me tenais à quatre pattes sur un bureau jonché de papiers tandis qu'une main s'activait dans mes orifices et celles je suçais une substantifique moelle.
Je pouvais certes écrire. J'ai acheté un ordinateur portable. Au début, mes histoires cochonnes me mettaient mal à l'aise. Je ne savais pas comment gérer la juste répartition du temps entre l'allumage du brasier quand je pianotais de mes dix doigts sur le clavier et son extinction lorsque je fourrageais ces mêmes doigts dans ma chatte. Un vibro monté sur ressort scotché sur la table de cuisine pendant que j'écrivais face à mon écran n'a donné aucun résultat probant. J'ai fini par alterner les activités au lieu de vouloir tout synchroniser...
Je ne me suis pas attendu à ce que mes histoires masturbatoires séduisent un public. On n'a pas l'impression, à voir les gens autour de soi, dans la rue, que ces mêmes êtres qui ne nous regardent pas dans les yeux s'excitent, le soir venu, en lisant nos cochonneries. C'est pourtant le cas.
J'ai publié un recueil de nouvelles érotiques chez un éditeur un peu louche qui m'a demandé de l'argent pour coucher les textes sur papier. Comme j'ai pensé qu'il faisait la pute, j'ai commencé à envoyer des tapuscrits ailleurs. Un courriel m'a rassérénée : la consécration à petite échelle, une histoire de dix pages a reçu quelques éloges ! Certes, la nouvelle n'était pas publiée, pas encore, mais elle était en haut d'une pile et pouvait d'un moment à l'autre basculer vers l'imprimerie.
La bascule, c'est mon domaine. J'ai donc cherché à rencontrer Monsieur le Directeur de collection. Par chance, il se déplaçait dans ma région à l'occasion d'un salon pour dédicacer des ouvrages. Je me suis inscrite pour dédicacer le mien au même moment.

Pour me rendre à ce salon du livre, j'ai enfilé la robe la plus olé olé de ma penderie, celle qui permet de voir ma culotte chaque fois que je me penche en avant : jai souvent utilisé à bonne fin cette très avantageuse posture et ses conséquences visuelles.
Seulement, la culotte était de trop. C'est ce que j'ai compris lorsque j'ai placé ma valise au-dessus du siège de mon compartiment : j'ai senti entre mes cuisses une chaleur émanant du regard du mâle entre deux âges assis sur la banquette voisine. Cette simple vue le satisfaisait, lui, et un coup d'œil sur la déformation de son zigzag l'attestait, mais cela serait-il suffisant pour un forniqueur aguerri ?
Avant mon arrivée à Volvic, j'ai ôté ma culotte devant mon voisin médusé. Je lui ai souri, il est resté bouche bée. Dans mon sac de danse orientale, un livre de Stephen à dédicacer. L'approche culturelle, la meilleure qui soit...
Une fois descendue du train, jai cherché un petit restaurant prendre un repas. Il a été convenu que mon mari, en déplacement professionnel, me rejoindrait en soirée, que nous passerions le reste du week-end ensemble, yeux dans les yeux et verge dans le con autant que possible. Sans les enfants, partis en bord de mer avec les grands-parents, deux journées torrides s'annonçaient...
Le déjeuner en solitaire m'a donné l'occasion de tester sans en avoir l'air les réactions suscitées par l'aération de mon bas-ventre. J'ai croisé haut les jambes, les ai décroisées d'un geste lent. Deux fumeurs mont regardée en coin. J'ai repris le mouvement au dessert après avoir reculé ma chaise de quelques centimètres. J'ai vu l'un des types effleurer ce qui semblait le chatouiller fort. Avant de régler l'addition, je me suis permis une fantaisie en ouvrant grand les cuisses. Il fait chaud en ces premiers jours de juin, je transpire même de et me suis donc essuyée discrètement avec la petite serviette blanche servie en même temps que ma glace à la cannelle.
Quatorze heures ont fait tinter les cloches lorsque je me suis présentée à l'entrée du palais omnisports. J'ai énuméré dans ma tête ceux auxquels je réussissais le mieux. Boules lyonnaises. Trampoline sur matelas. Équitation à dos d'homme. Le compte à rebours avait cependant commencé si je voulais faire une touche avant l'arrivée de mon mari, c'est pourquoi je me suis immédiatement mise en quête de Stephen, que j'ai reconnu à ses lunettes. Les mêmes que celles de mon professeur de linguistique, ce n'est pas possible ! Ai-je gardé dans mon inconscient l'étroit rapport entre les lunettes et le doigt spéléologue ? Cette pensée m'a bouleversée, j'ai préféré reprendre mon souffle en m'asseyant à ma place.
À ma droite, une jolie femme au teint blanc. À ma gauche, Brice. C'est ainsi qu'il s'est présenté d'une bise appuyée. Quand j'ai vu que ses livres portaient sur le Tantra, j'ai compris pourquoi il paraissait sourire aux étoiles. Brice n'a pas gardé la langue dans sa poche ni les mains sur la table. Ses manœuvres sous nappe ont pris de plus en plus d'ampleur, un de mes chakras a menacé d’être atteint. Il m’a fallu agir. J'ai fait « coucou ! » à Stephen et suis venue tortiller mon derrière à ses côtés, son bouquin avec moi. « Mademoiselle Caramel, je me souviens effectivement de vous ! » Puisqu'il se souvenait de mon texte et si je m'appliquais, j'avais sans doute des chances d'être publiée. Je me suis donc penchée vers lui pour souligner un passage de son pamphlet. Les auteurs situés derrière moi sont devenus écarlates. J'ai tout de même des arguments à l'avant, mon 95C n'ayant jamais dégonflé, et Stephen n'y a pas paru insensible. Je me suis promis cependant de répéter le mouvement devant les tables disposées symétriquement pour que la vue de ce défenseur de la toison pubienne opère une contre-plongée entre mes deux autres rondeurs.
D'une démarche chaloupée, j'ai ensuite rejoint ma chaise. C'est une comète qui a semblé traverser le regard de Brice : j'ai compris qu'avec lui, je n'y couperais pas. Il avait sans doute observé mon manège, mon cul accessible, que sais-je encore ? Après tout, j'avais une petite soif, je suis passée sous la table. Braguette déjà ouverte ! Ah, mon cochon ! ai-je pensé. Combien de fois t'es-tu fait sucer la bite par tes voisines glissées sous les stands couverts de ces nappes qui traînent jusqu'au sol, pendant que tu dédicaçais tes essais ? Qu'on ne me dise pas que la pratique de Tantra permet de retarder son éjaculation ! Quelques succions coulissantes, quelques titillations de l'apex, une aspiration profonde en creusant les joues, et sa verge a perdu de sa superbe. Mais Brice n'en était peut-être pas à la première fellation : ma voisine au teint pâle semblait depuis mon retour bien trop colorée pour être honnête... J'ai fait mine de ne rien voir les heures qui ont suivi, même quand l'une ou l'autre laissait tomber son crayon et disparaissait quelques minutes pour le chercher... jusqu’à nos pieds.
On croit souvent que je ne pense qu'au sexe, mais en réalité, ce sont les circonstances qui m'y font penser. La chose précède la pensée et non l'inverse.
Quoi qu'il en soit, je me suis trouvée bien échauffée à l'heure de clôture. Rejoindre mon mari pour le repas ? Pas question ! Un SMS pour lui donner directement rendez-vous à l'hôtel ! Je ne dînerai pas sans un premier orgasme ! Mon homme s'est appliqué à me le donner en léchant consciencieusement mon bouton. Sa barbe a chatouillé ma vulve et je n'ai pas pu m'empêcher de penser que celle de Stephen, plus fournie encore, aurait davantage fait sourire mes petites lèvres.

Cette nuit-là, j'ai été prise d'insomnie. L'excitation sexuelle mêlée à la crainte de ne pas avoir abattu les bonnes cartes pour être publiée composait un cocktail d'adrénaline dont mon homme a fait les frais. Je l'ai réveillé en lui pinçant les fesses.
« Dis ! T'as pas envie de baiser un coup ? »
Le mot « baiser » a le don de le mettre en joie. J'en use et j'en abuse quand je veux qu'il me tienne compagnie la nuit, en cas de cauchemar notamment.
« Il fait trop chaud ! » me répond-il pourtant.
Qu'à cela ne tienne ! Prenons l'air !
Je ne lui ai pas donné le temps de réfléchir ; un petit vêtement pour nous couvrir et je l'ai entraîné hors de l'hôtel. Volvic est désert de nuit. Déjà Clermont-Ferrand, passé vingt et une heures, je ne vous en parle pas...
Nous y pratiquons l'exhibition à moindres frais : pas de procès-verbal, mais pas de mateur non plus, alors parfois nous imaginons que peut-être quelqu'un se cache et nous regarde... Tiens, là, tu as vu cette ombre qui semble se mouvoir ?
Ah, Volvic ! Son eau minérale en petite bouteille, impeccable comme gode improvisé ! Je me suis positionnée en levrette sur un banc du parc municipal, mon mari a farfouillé ma chatte tantôt des doigts, tantôt du goulot, avant d'y enfoncer sa verge gonflée à bloc. À cause des mouvements de va-et-vient saccadés, mes genoux se sont élimés contre le bois dur. Pauvres genoux ! Ils ont été mis à rude épreuve avec ce banc, sans compter mon déplacement à quatre pattes plus tôt dans la journée. Mes seins ont cependant tressauté d'allégresse, comme en écho au battement des castagnettes qui se sont entrechoquées en choeur contre mon cul.
C'est alors que j'ai senti quelque chose d'anormal. Pas dans le vagin où les réactions se sont emballées dans un tempo rapide, mais à côté de nous, pas loin, dans une zone indéfinissable de l'ombre qui nous entourait. J'ai eu la frousse. Un moment de relâchement dans ma concentration et je n'ai pas pu me retenir de chanter bruyamment ma jouissance.
« Eh bien, tu t'es lâchée, même à l'extérieur, avec les risques que cela comporte ! »
Je n'ai pas répondu, j'ai essayé de percer l'obscurité silencieuse pour saisir ce qui m'a dérangé. Rien. Je n'ai rien trouvé.

C'est le lendemain que j'ai su.
J'ai repris ma place à côté de Brice en partance pour la Voie lactée et j'ai consulté machinalement mon Smartphone. Un message sur Facebook ? Stephen ?!
« La robe a caché une partie de ton cul dans l'après-midi, j'ai eu davantage de chance cette nuit. »
Dessous cette phrase, une photographie pas très nette, sombre, où j'ai cependant reconnu la bouteille à l'orée de mon con.