Variantes de Boris (nouvelle publiée dans Osez 20 histoires sea, sex & sun)

Boris est un texte publié dans un collectif de la Musardine. Mais c'est un texte que j'avais commencé par écrire pour les éditions Textes gais, que j'ai modifié plusieurs fois... La narratrice au départ était tombée sous le charme de ce Boris avant de découvrir qu'il était homosexuel. Et il y avait deux variantes pour la fin : ou Boris parlait au gars sur lequel il fantasmait et tout était fini car il était repoussé ou bien Boris ne racontait que l'été suivant qu'il avait vu l'objet de son fantasme avec un autre et qu'il avait alors compris qu'il n'avait aucune chance. Ces variantes (qui se trouvent mélangées dans le fragment de texte que je place ici) n'étaient pas érotiques du tout, c'était simplement une ode à la jeunesse et à l'amitié. La scène érotique de Boris - tel qu'il a été publié - a été ajoutée pour coller à l'appel à textes "sea, sex & sun" (et me semble encore maintenant peu naturelle). Voici ces deux fins originales mêlées, partie extraite de ce que j'avais d'abord rédigé :

et un regard qui le faisait fondre. Boris l'admirait de loin alors que, serrée contre lui, je dus taire cet élan du cœur qui était né à son contact. J'admirais en Boris l'aisance avec laquelle il évoquait ses émotions et ses yeux mi-tristes mi-joyeux, tour à tour sérieux et rieurs. Il ne serait jamais à moi, je le compris, mais j'avais gagné son amitié, je devins sa confidente.
Il n'osait cependant pas lui parler. Il le ferait, oui, il se le promettait chaque jour, et repoussait chaque jour un peu plus le moment fatidique. Ce fut la veille de son départ qu'il se jeta à l'eau, au sens propre comme au sens figuré. Timothée et Boris sortirent des flots simultanément, Boris s'adressa à lui, Timothée fit un geste en direction du glacier. Ce même glacier qui m'avait fait le rencontrer. Ils marchèrent dans le sable mouillé. La conversation s'anima quelques instants puis retomba. Ils s'éloignèrent l'un de l'autre. Boris revint vers moi, les traits figés. Je ne lui demandai rien ; son visage parlait pour lui. Alors je l'entourai de mes bras en chantonnant une mélodie que j'inventai.

— On se voit l'an prochain ?
C'était moins une question qu'une assertion. Oui, on se verrait l'année suivante, c'était certain. Et d'ici là, nous garderions le contact. J'avais gagné un ami précieux, à défaut de… Pourquoi dire « à défaut » d'ailleurs ? Boris ne m'avait rien laissé espérer, j'avais immédiatement su que seuls les garçons l'intéressaient. Je ne m'étais accrochée que quelques heures à l'idée que peut-être… Tout au plus avais-je ressenti un pincement au cœur. Notre amitié surpassait tout le reste : je le savais, elle serait indéfectible.

Nous passâmes ainsi un nouvel été à regarder l'océan et ses vagues, assis côte à côte sur les rochers. À la rentrée universitaire, j'étais tombée sous le charme de mon voisin de cité U. Boris sourit en m'écoutant narrer pour la troisième fois au moins mes tentatives de séduction qui avaient duré deux longs mois avant que je ne parvinsse à mes fins.
— Et toi ? lui demandai-je.
Il resta silencieux un moment, pensif.
— Je l'ai revu après la plage, tu sais.
Il parlait de Timothée. Je le compris aussitôt.
— Je ne t'ai pas raconté, l'an dernier, et puis, je n'ai pas osé, ensuite. C'est bête, vois-tu, j'étais convaincu qu'il y aurait quelque chose entre nous deux, c'était comme une intuition. Ce n'est pas que Timothée n'aime pas les hommes, c'est juste que je ne l'attirais pas, moi. Le soir même où je lui ai parlé, je l'ai croisé ; il déambulait dans la rue avec un gars. Il y avait manifestement quelque chose entre eux, ça transpirait dans leurs gestes, dans l'intonation de leur voix, dans l'inclinaison de leur tête lorsqu'ils se regardaient. Cela m'a fait mal, un mal fulgurant. Je crois que cette douleur-là reste tapie en moi, encore maintenant, en sourdine, mais présente.
Je ne savais pas quoi lui répondre. Le chagrin d'un ami nous serre le cœur aussi sûrement que notre propre chagrin.
— Bah, c'est quand même de l'histoire ancienne, je ne vais pas moudre des idées noires alors que c'est l'été et qu'on est en vacances, ajouta-t-il soudain. Regarde la plage ! Les beaux mecs nous attendent, tu ne crois pas ?
J'opinai. Oui, nous étions jeunes et bien plus confiants en nous-mêmes que l'année précédente. Nous étions prêts. Le monde nous appartiendrait.

Viril, sportif et Écossais (parodie)

Dans mes publications, il y a une participation au livre collectif complètement farfelu des éditions Sous la cape : Les pires de Sous la cape. Sous le pseudonyme de Sylvie Lézèmechot, j'ai écrit un extrait parodique d'une romance érotique soit disant intitulée Un Kilt pour deux cœurs (trouvaille de l'éditeur, Pierre Laurendeau, car pour ma part j'avais nommé ça Viril, sportif et Écossais, titre que je reprends ici - mais Un Kilt pour deux cœurs est bien meilleur), avec la notice du livre qui bien sûr n'existe pas et les commentaires qui auraient être écrits à son propos. C'est idiot, mais ça me fait rire. Ce sera peut-être votre cas aussi.

Extrait

— Laisse-moi te montrer, dit-il en lui faisant un clin d’œil.
Brian prit une profonde inspiration, plia ses jambes couvertes de longs poils roux, saisit la grume, se redressa et fit voler la lourde charge. Le tronc s'abattit sur le sol dans un grand fracas, non sans avoir effectué le quart de tour réglementaire.
— Splendide ! s'exclama Sarah, rougissante.
L'attention de la jeune Française ne se portait cependant pas sur l'exploit : son regard avait glissé sur le corps athlétique du bel Écossais.
Brian avait revêtu un mignon petit kilt qui lui faisait un cul d'enfer. Tout à ses efforts, le sportif n'avait pas prêté attention au souffle taquin qui s'était engouffré sous le tissu et l'avait légèrement soulevé. Sarah en était profondément émue.

Une romance so sexy

L'amour au cours d'un séjour linguistique ? Sarah en rêve. Édimbourg lui ouvre les bras ; elle aimerait que Brian, ce merveilleux athlète de Caber, lui ouvre son cœur. Mais c'est son kilt que cet Écossais pur malt ouvre devant les yeux ébahis de notre héroïne.
La légende dit-elle vrai ? L'air frais d’Écosse caresse-t-il tendrement les attributs virils de ces hommes fiers et poilus ? Quelle sera la réaction de cette frenchie venue pour travailler la langue ? Enfin, Brian réussira-t-il à planter son tronc d'arbre ?
Laissez-vous séduire par cette romance qui sent bon la tourbe !

Avis de blogueuses :

« Je kiffe trop les Écossais, ils en ont entre les jambes ! »
« Oh oui, on en redemande, Brian, montre-moi ton tronc d'arbre ! »

Ma Gouailleuse

Contrairement au texte Une première, envoyé pour le même appel à textes, je ne suis pas vraiment satisfaite de ce texte-ci, Ma Gouailleuse. Il est plus fleur bleue, plus naïf aussi. Caricatural. Et puis le moment précis où tout se dévoile est difficile à écrire ou même à me représenter. J'use de chutes et d'évanouissements dans plusieurs textes, ce n'est pas un procédé dont je suis fière, non vraiment, ce n'est pas bon. Après vous avoir dissuadé de lire cette petite histoire, je vous la place ici quand même.

On fêtait l’anniversaire de Sandra devant un gâteau crémeux et une bougie qui en représentait à elle seule 32, quand Julie, délaissant le tour badin de notre conversation, suggéra de mettre notre amitié, nos talents et nos énergies en commun pour une cause.
Trois gouines ensemble : ça va déménager ! On pourrait constituer une association !
Sandra s’impliquait déjà au planning familial. Julie, la plus sociable de nous trois, une communicante née, rédigeait des articles sur un blog collaboratif. Quant à moi, je donnais des cours d’autodéfense à des adolescentes. Nos occupations, projets différaient, mais un même désir de changement sociétal nous animait.
Ras la casquette de ne pas avoir les mêmes droits que les autres meufs ! s’exclama Sandra, très remontée contre la législation qui lui interdisait d’exister en tant que parent du bébé de sa compagne.
Sans compter qu’en tant que femmes, la discrimination est aussi présente dans nos boulots, nos salaires. Et l’écœurant paternalisme dont on fait preuve à notre égard !
J’ajoutais, amère, le sort qui nous était réservé lorsqu’on avait l’audace de se promener seule à la nuit tombante.
Sandra et Julie m’entourèrent de leurs bras. J’avais subi une agression, cinq ans plus tôt. Jamais ce souvenir ne s’effacerait de ma mémoire. Après avoir pris moi-même des cours d’autodéfense et commencé l’apprentissage du karaté, je m’étais rapprochée d’une MJC pour proposer des stages d’autodéfense auprès d'adolescentes. Qu’elles au moins échappent un jour à ce que je n’ai pu éviter !
Les filles, déclara Julie, l’heure est grave !
Il était plus de minuit. Après un dîner composé de salades et de sushis, servis avec un excellent vin blanc, le gâteau avait été arrosé de champagne. Nous étions repues, légèrement ivres et surtout fatiguées. Aussi, après que Julie avait scellé notre accord pour la création d’une association en trinquant, j’escomptais pouvoir rejoindre le canapé sur lequel Sandra avait installé un sac de couchage. Julie venait cependant de réclamer notre attention et un minimum de réflexion. Elle voulait trouver immédiatement un nom à notre association, afin que notre projet prît réellement forme.
La barbe, Julie ! Tu crois qu’on est capables de réfléchir à cette heure-ci ?
« La barbe », c’est déjà pris par une asso féministe, répliqua Julie.
C’est pas ce que je disais. Tu m’embrouilles !
Sandra vint à ma rescousse.
Et « les gouailleuses », t’en penses quoi ? Vu la tienne, de gouaille, ça devrait le faire.
Pourquoi pas. On vote ?
Trois doigts levés, le nom était choisi. Je me laissai tomber sur le canapé. Sandra regagna sa chambre, qu’elle occupait seule pendant que Samantha rendait visite à ses parents avec le bébé, et Julie son appartement, situé deux étages plus haut.
Demain sera un autre jour, conclus-je alors qu’il n’y avait plus personne pour m’écouter.

Julie se chargea de rédiger des statuts, approuvés à l’unanimité, et de remplir les différents documents destinés à la préfecture. Notre association, née d’une simple idée lancée entre deux tranches de dessert, prit forme. « Association de défense des droits des femmes lesbiennes », la formulation était pompeuse, vu qu’on n’était que trois et qu’il restait tout à faire, y compris délimiter précisément quel serait notre champ d’action.
La ville peut nous prêter une salle, il suffit d’en faire la demande. Je propose qu’on crée un rendez-vous mensuel pour que chacune puisse exposer ses tracas, trouver du réconfort et surtout des solutions en étant épaulée par les autres.
C’est ainsi que naquirent « les rendez-vous des gouailleuses ». Après le semi-échec de la première réunion à laquelle deux filles seulement s’étaient présentées, nous lançâmes une campagne d’affichage. Julie se chargea d’alerter son réseau et mit une annonce en ligne sur Indymédia. Le mois suivant, nous disposâmes une dizaine de chaises en cercle. Nous dûmes en ajouter. Le rendez-vous fut reconduit ainsi de mois en mois.
Les motifs de participation étaient divers. Certaines femmes venaient pour ne pas se sentir seules, tout simplement. D'autres pour poser leurs questions. D’autres encore pour apporter leur aide dans leur domaine de compétence : une avocate fut considérée comme notre experte en problèmes juridiques, j’expliquai pour ma part des gestes faciles à réaliser en cas d’agression, Sandra soignait les peines de cœur. Nous étions quinze environ à chaque rendez-vous, souvent les mêmes, si bien que nous apprîmes à nous connaître et à nous apprécier. Nous avions toutes petits soucis ou grands tracas. Notre force, c’était le groupe, sa synergie et l’affection que nous nous portions.
Au bout de six mois, nous commençâmes à faire parler de nous en dehors de la communauté lgbt : un encart qui mentionnait nos activités fut glissé dans le périodique municipal. Ces quelques lignes alertèrent un quotidien régional. Une journaliste souhaita nous rencontrer pour discuter de nos actions et assister à l’un de nos rendez-vous mensuels. Comme le prochain n’était fixé qu’une quinzaine de jours plus tard, nous décidâmes de parler d’abord avec elle : cela nous permettrait de jauger de son sérieux et, si nous n’étions pas satisfaites de son attitude, de la tenir éloignée de nos réunions. Il fallait se méfier, nous répétait Julie. Combien de propos la presse détourne-t-elle pour créer de stupides polémiques ?
À notre proposition de rencontre, la journaliste – il était heureux que le journal n’eût pas dépêché un mec ! - répondit par une date. Cela tombait mal pour Julie, contrainte d’effectuer un stage en région parisienne. Sandra grimaça. Avec un enfant à charge, elle ne pouvait pas disposer de son temps comme elle le souhaitait.
Bah, ne vous inquiétez pas ! Je suis libre, je peux la voir seule et je vous ferai un rapport. Nous déciderons ensemble de la suite à donner.
C’est ainsi que je devins pour cette entrevue porte-parole de l’association. Bienheureuse idée qui me fit réserver la même salle que celle de nos rendez-vous mensuels ! Notre isolement facilita nos premiers échanges amoureux...

Je vais trop vite, bien sûr, tant il me tarde d’arriver à nos premiers baisers, à nos premières caresses ! Élise – à sa demande, je l’appelai immédiatement par son prénom - n’était, en entrant dans cette pièce, qu’une journaliste curieuse de nous connaître. Or, si le journal l’avait envoyée nous rencontrer, c’était parce qu’elle avait insisté pour se charger de cet article. Elle me l’indiqua d’entrée de jeu. De questionnée, je devins rapidement questionneuse. Pourquoi s’intéressait-elle particulièrement à nous ? Étonnamment, Élise me déballa alors tout en vrac : sa vie, ses doutes, ses essais pour faire comme tout le monde, autrement dit, comme les hétéros, les mecs qui la dégoûtaient d’eux et d’elle-même, ses coups de cœur et ses déceptions, et surtout l’irrésistible attrait qu’elle ressentait pour les femmes. Pour certaines en particulier, précisa-t-elle.
Quelle curieuse interview faisions-nous là ! Plus son visage s’animait, illuminé par la joie, assombri par la tristesse, plus je pris plaisir à la contempler. Lorsqu’elle évoqua celles qui lui plaisaient, je sentis le pique de la jalousie. C’était idiot : nous ne nous connaissions pas et je m’étais déjà entichée d’elle. Il fallut cependant le concours du destin pour nous rapprocher. Ou alors, mais je ne l’appris que le lendemain, un petit coup de pouce au destin que donna Élise en feignant de s’évanouir.
J’avais suivi une formation aux premiers secours. Je sus réagir. Après avoir allongé Élise, avoir relevé ses jambes, mon cœur qui s’emballait me conseilla le bouche-à-bouche. La victime, en pleine possession de son pouvoir de séduction, me sourit et approcha elle-même ses lèvres des miennes. Elle se sentait « totalement in love » depuis son entrée dans la salle, m’avoua-t-elle durant les trois jours suivants d’un long week-end de baisers, de sexe et de secrets chuchotés entre deux soupirs de plaisir.

Cela t’arrive souvent de simuler un malaise ?
Plus depuis le lycée… J’évitais des devoirs sur table quand je ne maîtrisais pas la matière… J’étais experte dans cet art…
Et là, si je te travaille de la langue, tu simuleras un orgasme ou ce sera réel ?
Essaie, je te dirai.
Il ne m’en fallut pas davantage pour placer ma tête entre ses cuisses. Son clitoris était un peu plus long que la moyenne.
On raconte que ce n’est pas la taille qui compte, s’amusa-t-elle. Arrête de parler, ta langue a mieux à faire !
Quand les frémissements de son corps m’annoncèrent que j’approchai du but, j’enfonçai deux doigts entre ses lèvres ouvertes. Ma chérie se crispa, intensifia ses gémissements et fut secouée de spasmes.
Pas mal du tout ! souffla-t-elle, avec son regard de sainte en extase.
Deux jours et demi plus tard, nous avions essayé toutes les positions du Kama Sûtra que nous connaissions. Que nous restait-il à tenter ?
La création d’un journal à nous.
Nous ?
Oui, les lesbiennes.
Elle me fit un clin d’œil. Première fois qu’elle prononçait le terme en ma présence, première fois qu’elle se déclarait telle.
Tu m’as bien dit que Julie écrivait des articles ?
Oui, mais pour des sites Internet, pas pour la presse papier…
Et alors ? L’exercice est le même ! Et pour la presse, j’ai un point d’ancrage, je m’en sortirai. L’association, ses réunions, c’est bien, mais pourquoi ne pas aller plus loin ? Je vous aiderai. On pourrait intituler ce journal La Gouailleuse.
Faudra que j’en parle aux autres, mais l’idée me plaît… Surtout si tu y participes…
Nouveau clin d’œil de sa part. Elle ne comptait pas disparaître de ma vie, j'en étais soulagée.
J’y pense seulement maintenant ! Les cop’ ! Je ne leur ai même pas téléphoné ! Elles doivent se demander ce que je fais !
Mon téléphone, à court de batterie, était enfoui au fond de mon sac. Élise me tendit le sien.
Invite-les ici, il me tarde de m’afficher à ton bras.
Seulement à mon bras ?
Elle m'embrassa pour toute réponse.

La Nonne rouge

Ce conte légèrement érotique a fait l'objet d'une publication aux éditions Artalys, dans le recueil collectif Fantastiques Amours. Je l'avais écrit sous le nom de Lily Dufresne.
Récemment, j'ai demandé à Serge Papillon, l'éditeur, si je pouvais en proposer une auto-publication gratuite et il a accepté. Il me semble préférable, vu que personne ne semble plus lire ce recueil, de gagner quelques lecteurs de cette manière plutôt que de voir ce texte tomber dans les oubliettes.
La Nonne rouge peut surprendre : ce n'est pas le genre de texte que j'ai coutume d'écrire, il est - comment dire ? - mainstream ? lisse ? Mais au fond, pourquoi de temps en temps ne pas lire ou écrire un texte de ce genre ? Rien ne l'interdit...
Compte tenu de sa longueur qui rend sa lecture difficile sur ce blog, je vous propose si vous le souhaitez de télécharger son format PDF (en espérant que cela fonctionne sans souci). Mais vous pouvez également si le cœur vous en dit lire La Nonne rouge ici-même.

1
On colportait les rumeurs les plus folles sur la forêt d’Hérylion. On disait que les arbres étouffaient leurs proies avec leurs racines sorties de terre, agiles comme des tentacules, et qu’ils enterraient leurs victimes afin de se repaître de leur chair. On racontait que les bruits des feuilles des grands chênes, frottées les unes contre les autres, produisaient des ultra-sons qui détruisaient les synapses humaines. Combien de légendes étaient-elles fondées ? Combien naissaient de l'imagination des conteurs ? Les épreuves que promettait cette forêt magique changeaient au gré des époques et des récits horrifiques que psalmodiaient les griots, ravis de trouver dans les peurs de leur auditoire de quoi alimenter leurs spectacles et gagner leur pitance.
« Écoutez le récit de l'intrépide Hilgo, chevalier armé d'une lance capable de tuer tous ses adversaires, qui s'enfonça dans la forêt d'Hérylion et y demeura prisonnier à jamais », disait l'un.
« Oyez, oyez l'histoire de l'elfe d'Hérylion qui se change en démon la nuit venue et extermine tout être vivant sur son passage », racontait l'autre.

Le seul point commun de ces récits extravagants était la récompense dont serait couvert l'homme assez fort, brave et rusé pour venir à bout de la traversée de la forêt. Tous convergeaient : en lisière, de l'autre côté de la terre habitée, vivait une jeune femme belle et incroyablement riche. Sa demeure était d'or, ses habits incrustés de rubis. Sa chevelure était plus noire que la nuit tandis que son visage étincelait comme une étoile. Son amour garantissait à celui qui le gagnait gloire et richesse. Bien plus encore : l'immortalité. Les ans passaient sans flétrir la beauté de la noble dame, née il y a de cela plusieurs siècles. À celui qui s'unirait charnellement à elle serait transmis ce merveilleux pouvoir.
Beaucoup furent tentés, beaucoup essayèrent. Les griots chantèrent leur geste. Aussi loin que remontât cette légende, des hommes disparurent dans l'obscurité terrifiante de la forêt. Le sang qu'ils versaient tout autant que les parures de rubis qui ornaient les vêtements de la dame (les hommes fous de désir pour la belle immortelle imaginaient parfois qu'elle portait les pierres précieuses à même la peau), la firent appeler « la princesse rouge ». Un autre nom, plus fréquemment utilisé encore, était « la nonne rouge ». Nonne, car elle vivait seule, recluse, sans mâle pour pénétrer ses chairs.
Des poètes récitaient la magnificence de la nonne rouge et, lorsque les chastes oreilles ne pouvaient l'entendre, les attraits charnels de la noble dame. Sa peau laiteuse et douce. Sa chevelure noire qui fouettait ses fesses à chaque mouvement de hanches. Son pied menu et gracieux. Ses seins opulents terminés par des mamelons rouges comme les baies les plus vives et aussi goûteux que celles-ci. Son bas-ventre aux boucles soyeuses. Son antre secret si fermé que le vit le plus mince s'y sentirait étroitement serré, amoureusement pressé par la matrice. Un océan de délices attendait l'homme qui caresserait le corps tendre, embrasserait les lèvres charnues, pourfendrait l'hymen, faisant ainsi sienne cette remarquable beauté, et laisserait s'écouler sa semence dans la grotte du plaisir.
À cette évocation, les pals vigoureux prenaient dans les braies des pauvres comme des riches un relief neuf. Jamais ces pals n'avaient été autant bandés. Jamais ces hommes ne banderaient davantage pour une femme. Les esprits s'échauffaient, les cœurs s'enflammaient. Outre la gloire, l'honneur, la richesse, la vie éternelle, il y avait la Femme, la divine nonne rouge au corps de braise. Elle était vierge, et pourtant savante dans l'art amoureux. Nulle caresse du pal ne lui était inconnue. Celui qui la chevaucherait serait mille fois bienheureux. On pouvait alerter ces hommes, les prévenir des dangers encourus ; ils n'en avaient cure. Envoûtés par le récit des charmes de la nonne, ils cessaient de boire et de manger, se consumaient d'amour et de désir, jusqu'au jour fatal où ils s'engageaient dans la forêt. Les mères pleuraient, les sœurs arrachaient leurs cheveux. Toutes se prosternaient au temple devant la statue d'Ichwab et priaient pour le salut de leur frère ou de leur fils. Ichwab, impassible, dédaignait les prières. La forêt magique dévorait l'homme assez fou pour s'y aventurer.
2
En l'an 634 de l'ère Puîmkeeing, le royaume d'Achtram fut décimé par une peste. Les bubons grossissaient dans les entrailles des malades avant d'écouler leur pus noir dans les urines, le sperme, la salive et la sueur. Les mâles seuls étaient touchés, hommes en pleine possession de leur force, vieillards, enfants et nouveau-nés, sans distinction. Lorsque la peste cessa, pour s'abattre sur d'autres territoires aussi rapidement qu'elle était précédemment venue, elle laissa aux familles quelques agonisants et très peu de rescapés. L'avenir du peuple achtramien n'était plus assuré. Les prêtres du culte d'Ichwab, le tout puissant dieu de la création qui régit la vie et la mort, se consultèrent. Miraculeusement épargnés grâce à leur autarcie, les prêtres ne pouvaient faire fi du devenir du royaume auquel ils devaient leur pouvoir sur les consciences. Ils abolirent alors les liens du mariage. Tout homme en pleine possession de ses attributs sexuels devait féconder autant de femmes qu'il le pouvait. Les femmes dressèrent elles-mêmes ce que l'on nomma des « tentes d'amour ». Sous les pans de toiles était érigé un large lit où trois à quatre personnes pouvaient s'allonger à loisir. Sous chaque tente, un homme habitait. Les femmes du royaume se rendaient, tour à tour, auprès de lui pour être engrossées. Elles venaient chaque jour de leur période féconde et réitéraient leurs visites si leurs saignements mettaient fin à l'espoir d'avoir rapidement un enfant. Les hommes au phallus toujours dur devenaient des héros pour la population. On les entretenait. On leur servait à boire et à manger. On leur préparait des potions pour accroître l'épaisseur de leur sperme, l'épaisseur étant, selon une croyance ancrée dans les esprits, gage des vertus dont seraient pourvus les êtres à naître.
Parmi les heureux locataires des tentes d'amour, il y avait Frélon, un homme trapu qui n'avait pu trouver femme avant la survenue de la peste, pour cause d'une infirmité à la jambe gauche. À présent que les femmes se pressaient devant la tenture qui fermait la chambre, il était fier. Pour entretenir la raideur de son sexe, il gardait en permanence une bouche à sa portée. Il faisait ainsi entrer non pas une, mais deux candidates dans la tente. Mollement allongé sur la couche, il attendait que les succions de la première ravivent les ardeurs de son outil avant d'empaler la seconde. Après des va-et-vient de plus en plus rapides, la semence était projetée au fond de la matrice et la femme s'éloignait à petits pas tout en saluant bien bas l'homme qui avait béni ses entrailles. Une autre femme entrait alors. Elle s'agenouillait et prenait entre ses lèvres le sceptre languissant, le ranimait avec ferveur et l'abandonnait ensuite à celle qui l'avait précédée. L'heureuse élue se positionnait à son tour à quatre pattes avant d'être saillie par le pal à nouveau prêt à fonctionner.
Grignelin, autre habitant d'une tente, était réputé pour la durée et la qualité de ses coïts. Les femmes en étaient folles, mais devaient patienter si longtemps devant l'entrée de toile que plusieurs, de dépit, renonçaient à devenir mère avec celui-là. Grignelin était de haute stature. Son visage aux rides creusées démontrait qu'il était mature. Au royaume d'Achtram, les hommes qui avaient passé cinquante années étaient les plus courus, même avant la peste. On disait d'un homme qui avait franchi les deux tiers de sa vie qu'il promettait d'avoir les rejetons les plus vaillants. Grignelin ne recevait qu'une femme par jour, mais quel honneur il lui faisait ! Il la déshabillait toute, l'enduisait de crème aux parfums suaves, jusqu'à l'intérieur de l'orifice où sa verge s'aventurerait. Il frottait ainsi les parois de ses doigts oints, suscitait un plaisir souvent inconnu de ces femmes, un plaisir tel qu'il les faisait pleurer et rire à la fois, gémir, crier et fondre comme un glaçon sur le feu. Un liquide transparent, pur comme une eau, ruisselait alors entre leurs lèvres intimes. Grignelin y portait la bouche, arguant que ce breuvage décuplerait ses ardeurs pendant la copulation. Elles le laissaient faire, pantelantes, sûres d'être mères, heureuses d'être femmes entre ses mains si expertes.
Frélon, malgré son sort enviable, la nourriture exquise qu'il mangeait, les femmes qui s'empressaient devant sa tente, prit ombrage de la réputation grandissante de Grignelin. On le disait excellent amant, alors que jamais femme ne fit le moindre compliment sur ses propres performances. Quand une énième louange de son rival lui parvint, ce fut plus qu'il ne put en supporter. Il décida d'agir. Pour cela, il se rendit au temple et demanda audience aux prêtres. Agenouillé devant les représentants du pouvoir, Frélon expliqua que Grignelin ne respectait pas les règles qui avaient été édictées en vue de sauver la lignée du peuple d'Achtram. Grignelin refusait de recevoir plus d'une femme par jour. Et, plus infamant encore, il négligeait sa mission en privilégiant des pratiques non conformes, en conduisant les femmes au plaisir de manière éhontée. Les prêtres ne purent établir un verdict sans mener une enquête préalable. Frélon fut donc congédié. Yourel, un nain au service de la police secrète, fut ensuite envoyé auprès de la tente de Grignelin.
Deux jours plus tard, il vint faire son rapport. Ce dernier était accablant. Des femmes gémissaient, criaient. Grignelin utilisait ses doigts et sa langue, au lieu de l'outil procréatif. La sentence tomba : Grignelin était indigne de demeurer au royaume d'Achtram ; il serait exilé. Et, pour que la peine soit exemplaire, le condamné serait abandonné dans la forêt d'Hérylion.
3
Grignelin ne put se défendre, tant Frélon s'était agité pour obtenir satisfaction. Le nain Yourel avait constaté de ses propres yeux les méfaits du résidant de la tente d'amour. Une fois la sentence prononcée, le condamné eut quelques heures pour faire ses adieux. À l'aurore, on le conduisit devant la forêt magique. Grignelin s'y rendit d'un pas égal. Lorsque le prêtre Thodxi lui demanda quelle arme il souhaitait emporter avec lui, car il aurait été inhumain de laisser un être sans défense dans la forêt hostile, Grignelin soutint le regard du grand homme et d'une voix ferme affirma qu'il n'en emporterait pas. Sa besace, avec les objets qu'elle contenait, lui suffisait.
Un murmure parcourut l'assemblée des femmes venues assister aux derniers instants de l'homme qui avait tant pris soin d'elles. Comment Grignelin comptait-il se défendre contre les pièges, les maléfices et les monstres qui hantaient la forêt ? Était-il devenu fou ? Souhaitait-il mourir ? Quelques femmes, touchées par la prestance de cet homme, par sa bravoure, s'évanouirent. D'autres se lamentèrent. Une plainte s'éleva, lancinante. Pour abréger la cérémonie et parce qu'il craignait une émeute des femmes, le prêtre Thodxi ordonna immédiatement aux archers de conduire Grignelin jusqu'à l'orée d'Hérylion. La troupe s'éloigna. Quelques minutes plus tard, les archers revinrent, affirmant que l'exilé avait franchi la frontière entre le monde habitable et le monde hostile. C'en était fini de Grignelin. Le cortège des prêtres, suivi par les femmes qui se lamentaient, s'en retourna.
Grignelin était seul. Il n'avait avancé que de quelques pas, mais il savait qu'il lui serait impossible de revenir en arrière. La forêt conserve les humains qui passent son seuil. L'exilé prit une profonde respiration et leva la tête pour tenter d'apercevoir le ciel. Les cimes étaient si hautes, les arbres si pressés les uns contre les autres, que Grignelin ne distingua que de faibles rayons de lumière. La forêt était trop dense, l'obscurité y régnait. Grignelin chercha à ses pieds des branches sèches, les attacha avec une sorte de liane, sortit de la poche de son paletot un ustensile d'acier et plaça le curieux objet contre le bois. Des flammes surgirent à leur extrémité. La torche ainsi créée permettrait au condamné d'avancer sans trébucher sur les racines noueuses et de prévenir tout danger venu de loups affamés ou de toutes bêtes, quelles qu'elles soient, qui erreraient en quête d'une proie. La lumière diffusée par la torche était faible. On ne voyait qu'à quelques pas. Grignelin prit soin de confectionner, avant de poursuivre son chemin, des réserves de branchages ligaturées pour remplacer la torche dès qu'elle viendrait à s'éteindre.
Où se rendait-il ? Pourquoi prenait-il telle direction plutôt qu'une autre ? Il n'aurait vraisemblablement pas su répondre lui-même. L'instinct le guidait vers le plus profond de la forêt. Il marcha donc, longuement. Quelques heures plus tard, Grignelin se rendit compte que le bois, au lieu de s'épaissir encore, s'éclaircissait de plus en plus. Il ne fut ainsi pas surpris de voir, après un nouveau temps de marche, une clairière. Le ciel apparaissait enfin au-dessus de sa tête. Il faisait nuit. Les étoiles, nombreuses, encerclaient de leur lumière douce la lune, ronde et blanche. Grignelin décida de se reposer contre un tronc si large que l'arbre, imposant, devait être centenaire. Il sortit de sa besace une cape qui avait connu des jours meilleurs et l'étendit sur le sol. Il ressembla ensuite divers morceaux de bois pour alimenter un feu de camp. Il s'allongea ;le sommeil le terrassa aussitôt.
Ce sommeil fut peuplé de rêves dont Grignelin garda un souvenir flou à son réveil. Une ombre menaçante flottait au-dessus de lui lorsqu'une ombre lumineuse - était-ce possible ? Grignelin songea que les rêves apportaient de bien étranges visions ! - prit une position médiane qui lui assura protection. À son lever, son estomac lui fit cruellement sentir qu'il n'avait rien mangé depuis la veille au matin. La faim ne l'avait jusqu'alors pas tourmenté et c'était sans y penser qu'il s'était endormi. Quelle nourriture pouvait-il espérer dénicher dans la forêt ? Grignelin s'approcha des arbustes qui bordaient la clairière. Des mûres, des framboises y avaient poussé en grand nombre. Il mangea une petite quantité de fruits et s'en trouva immédiatement rassasié. Il en ramassa d'autres, les enveloppa dans la cape qui lui avait servi de couche et les rangea dans son sac. Si quelques baies le rassasiaient, alors sa récolte lui permettrait de tenir plusieurs jours ! Il ne lui manquait plus qu'à chercher de l'eau. À peine avait-il émis cette pensée qu'un doux murmure se fit entendre. Un cours d'eau ! Il marcha dans sa direction. Le ciel clément était d'un bleu pâle, les arbres au port noble agitaient leurs feuilles et des oiseaux gazouillaient. Où était le lieu réputé si dangereux ? Quelles étaient les épreuves que tant de vaillants guerriers avaient affrontées ? Autour de lui, la nature était accueillante. Hospitalière. Pour preuve, la limpidité du ruisseau dans lequel il étancha sa soif.
Grignelin rassembla ensuite ses maigres affaires et s'engagea toujours plus loin dans la forêt. Les mousses faisaient un tapis sous ses pieds. La verdure n'avait plus rien d'oppressant, comme elle l'avait été lors de ses premiers pas. Grignelin aurait pu rester vivre au milieu de ce bois, mais une force irrépressible le poussait à marcher encore et encore. Un deuxième jour prit fin.
Grignelin mangea quelques baies et s'endormit d'un sommeil lourd et à nouveau peuplé de rêves. Pour la première fois, il vit en songe celle que l'on nommait la nonne rouge. Elle l'appelait, le suppliait de venir la délivrer de ses charmes maléfiques. Tout d'abord lointaine, évanescente, son image parut plus proche. Il lui suffisait de tendre le bras pour la toucher. Il n'en fit rien, cependant. Saisi de respect pour cette dame, il inclina la tête et baissa les yeux. La nonne rouge, dont les murmures avaient éveillé sa conscience, prit plus distinctement la parole.
« Je suis bien et mal tout à la fois. Destin heureux et destin funeste. Les hommes qui se sont aventurés dans cette forêt l'ont tous fait pour conquérir richesse, gloire, amour, immortalité. Ils ont provoqué leur châtiment. Je ne suis qu'un miroir de leur âme. Souhaitaient-ils gagner à tout prix ? Ils perdaient tout. Souhaitaient-ils vivre éternellement ? Ils étaient dépossédés de leur vie. Convoitaient-ils mon corps ? Le leur était lacéré, dévoré. Il se putréfiait. Toi, tu sauras réussir l'épreuve qui t'attend, je l'espère. Tu ne cherches pas l'or, tu n'as pas pénétré cette forêt pour me soumettre à ton joug. Ton désintéressement sera ta force. Souviens-t’en ! »
La nonne s'évanouit alors dans une dense brume. Grignelin se réveilla. Le jour perçait. La rosée reflétait les premiers rayons. La joie monta au coeur de Grignelin. Ainsi, il savait désormais : la nonne rouge, quelque part, l'attendait. Il y avait un être vivant près de lui. Il ne serait pas condamné à rester seul. Grignelin reprit son chemin. Devant lui, les fourrés s'écartaient. La marche ne lui sembla jamais aussi aisée qu'à l'approche de la demeure de la nonne.
4
Ce fut au mitan du quatrième jour que Grignelin arriva devant une magnifique demeure. Sa toiture était faite de pierres précieuses. De grandes vitres faisaient entrer la lumière de chaque côté et laissaient admirer de l'extérieur un riche mobilier, des tapisseries élégantes et des bibelots étincelants. Les façades étaient recouvertes de feuilles d'or fin. Contre la porte ouvragée en bois, un marteau. Grignelin ne s'attarda pas sur le luxe affiché. Seule une chose lui importait : rencontrer la nonne rouge. Il frappa à la porte. Celle-ci s'ouvrit sans que quiconque en ait actionné le mécanisme et se referma derrière lui.
Grignelin se trouvait dans un couloir. Un tapis rouge qui le couvrait semblait l'inviter à entrer plus avant, jusqu'à une porte entrouverte. Grignelin frappa et l'ouvrit totalement. Il entra. Sur une bergère se tenait la femme qui lui était apparue dans son sommeil. Jeune, le teint pâle, avec de longs cheveux noirs, conformément aux descriptions des conteurs. Grignelin la salua d'une profonde révérence. Elle lui répondit d'un signe de tête et, sans un mot, lui indiqua du doigt une large banquette parsemée de coussins faits de brocart. Le voyageur s'assit et attendit. Dans son rêve, la nonne rouge l'avait mis en garde contre les désirs qui se retournaient contre ceux qui les ressentaient. Grignelin, à qui il n'avait pu échapper que la nonne rouge était d'une grande beauté, devait lutter contre son instinct de mâle. Il garda les yeux à terre pour éviter la tentation.
« Tu ne dois pas lutter contre ton désir d'homme, car je suis une femme et j'existe aussi à travers le désir que j'inspire. Ton désir n'est pas celui de m'assujettir, de me posséder. Je sais combien tu prends soin des femmes qui se sont coulées sur ta couche. Je sais le plaisir que tu leur donnes. Ce plaisir, je t'en prie, offre-le-moi également. »
Donner sans recevoir. Tel était en effet le moyen de contourner le maléfice ! Grignelin leva alors les yeux sur la nonne rouge qui lui souriait. Elle s'avança vers lui, tout en desserrant les liens de son corsage. À quelques pas de l'homme qui la contemplait, ses seins jaillirent de sa robe. D'une blancheur de lait, parfaitement ronds, ils appelaient les caresses. Les mamelons dardaient, rouge sang, rouge rubis. Tandis que Grignelin, muet d'admiration, sentait son bas-ventre s'animer, sa chair durcir entre ses jambes, les mains de la nonne défirent d'autres liens, d'autres rubans. L'étoffe chut alors à ses pieds. Sous la robe, nul linge de baptiste, nulle dentelle. Le corps éclatant de blancheur s'offrait librement à la vue de l'homme dont elle attendait mille bienfaits.
La nonne s'approcha et prit place en travers de la banquette. Grignelin sortit de sa besace, dans des gestes hâtifs, tant le feu couvait en lui après avoir contemplé la nudité de la nonne, le flacon qu'il utilisait encore quelques jours plus tôt sous la tente d'amour. Il enduit de crème ses mains pour les adoucir et les frotta pour que l'onguent pénètre les pores, puis il prit à nouveau de la crème entre ses mains et entreprit de masser tout le corps de la nonne. Ses orteils menus, la plante de ses pieds et ses chevilles fines. Lorsque les mains chaudes et mouvantes de Grignelin atteignirent les genoux, la nonne rouge poussa un profond soupir. Grignelin enduit les cuisses de crème, mais contourna la conque amoureuse. La nonne mordit ses lèvres de dépit. Il remonta le long des hanches et massa avec délicatesse le ventre. La noble dame se tortilla. Lorsqu'il toucha les seins, elle exhala un nouveau soupir. Sa poitrine se dressait, venait à la rencontre des gestes caressants.
Grignelin, emporté par le désir, approcha son visage des lèvres entrouvertes. Le bâillon de sa bouche fit taire les soupirs. Ils échangèrent un long baiser, tendre tout d'abord. La fièvre les gagna progressivement. La nonne posa ses mains sur le corps de Grignelin. Sous la toile rêche, son torse ferme lui procurait des envies de contacts charnels plus poussés. Grignelin ôta prestement ses vêtements. Tous, sans exception. Ainsi, son sexe, rendu libre, se dressa.
Mais il était trop tôt, et seule la volonté de la nonne devait permettre une pénétration de ses chairs. La concupiscence de l'homme serait châtiée : il fallait offrir un plaisir sans chercher le sien propre. Grignelin l'avait compris, et plus encore, savait comment procéder. Il avait acquis cette habitude si peu commune au royaume d'Achtram de prendre en compte le plaisir des femmes avant le sien. Ce qui avait causé sa condamnation auparavant devenait, à cause de la malédiction qui pesait sur les soupirants de la nonne, son espoir de salut.
Grignelin chassa de son esprit les fantasmes de copulation que le maléfice lui imposait. Au lieu de son vit, ce furent ses mains qui s'approchèrent de l'intimité palpitante de son amante. Délicatement, ses doigts caressèrent le pistil de sa fleur. Il le butina du bout des doigts, puis des lèvres, avant de pointer sa langue. La nonne se pâmait, un long gémissement sortit de sa gorge. Ce fut le moment que Grignelin attendait. Les doigts habiles pénétrèrent la grotte humide des délices et commencèrent un doux travail de va-et-vient. Le gémissement devint cri. La nonne haletait, ses jambes se crispèrent, son bas-ventre incendié fut soudain la proie de vives contractions. Elle jouissait. Grignelin accompagna l'orgasme de mouvements plus lents, plus légers, jusqu'à son extinction. La nonne serra alors contre son corps celui de son amant et, d'un mouvement de bassin, attira l'objet de sa convoitise à proximité de l'épicentre de son plaisir. Grignelin en profita pour rouler de côté et ainsi laisser son amante le chevaucher. À elle le pouvoir de diriger la pénétration. À elle de chercher son plaisir en se servant du vit dressé.
La nonne plaça ses jambes de part et d'autre de celles de Grignelin. Ses portes intimes, largement ouvertes, aspirèrent le membre viril. Elle procéda par mouvements lents. Elle enfonça profondément le sexe en elle, puis le retira avec la même lenteur, avant de recommencer. Les yeux de Grignelin se posaient sur le visage de la jeune beauté. Le désir qui s'éveillait en elle s'y exprimait pleinement. Elle aimait dominer la situation, elle aimait jouer avec ses sensations. Grignelin porta ses mains à la poitrine qui se balançait au rythme de l'étreinte et titilla les mamelons rouges. La nonne gémit. Le plaisir qui montait en elle avait ainsi plusieurs sources : les pincements du bout de ses seins, l'outil planté en elle, le frottement de son clitoris contre le bas-ventre de l'homme. Ce dernier contact était en lui seul une expérience enivrante. Lorsque le mouvement ascendant l'éloignait du corps de son amant, la nonne sentait une frustration telle que son plaisir gonflait lorsque les chairs se touchaient à nouveau. Aux mouvements lents succédèrent des mouvements de plus en plus rapides. À frustration moins longue, plaisir de plus en plus fréquent, de plus en plus fort. Si bien que la violence de l'orgasme l'emporta soudain, si loin que ses yeux se perdirent dans un regard d'extase. Grignelin, qui l'avait retenu tant qu'il l'avait pu jusqu'alors, laissa s'épancher le fruit de son propre plaisir. Il ne craignait plus rien : la nonne l'avait fait sien.
Après cette étreinte charnelle, les amants se lovèrent l'un contre l'autre. Le plaisir de la nonne s'était mû en plaisir mutuel. La malédiction ne courrait plus : la vie avait pris ses droits. Dans le ventre accueillant, les sucs mêlés mettaient fin à des siècles de tragédies. Plus d'épreuves en traversant la forêt d'Hérylion. La demeure de la nonne devenait aussi celle de Grignelin, elle était sa maîtresse, il était son amant. Il devait en être ainsi, le dieu Ichwab le savait de toute éternité.
Hélyrion devint un lieu accueillant, les gens du royaume d'Achtram y chassèrent du gibier et y coupèrent des arbres pour construire leurs maisons. On oublia la terrible légende. Seuls quelques griots vieillissants racontaient encore de terribles histoires à propos de cette « forêt magique ». Personne ne les croyait plus.
La nonne rouge et Grignelin vécurent en parfaite harmonie, et vivent sans doute encore si le don d'immortalité leur a été laissé. Une brume épaisse qui recouvrit l'édifice les protégea de toute intrusion extérieure. Ils étaient hors du temps, hors du monde. Leur amour n'aurait jamais de fin.



Une première

Ce texte est inédit. Je viens de le relire, je l'ai trouvé pas si mal que ça. Initialement, je l'avais écrit pour un appel à textes des éditions Des ailes sur un tracteur qui comptaient publier un recueil érotique sur le thème "cul comme queer". Finalement, le projet a dû être abandonné puisque je n'en ai plus entendu parler, je n'ai même d'ailleurs jamais reçu d'accusé de réception de mon envoi. 

Le corset écrasait ma poitrine. Je soupirai lorsque je réussis à accrocher correctement les bas au porte-jarretelles. Nul doute que j'avais eu raison de commencer si tôt l'habillage. Vingt-deux heures et je n'étais pas encore maquillée. Je pestai contre le mascara qui s'était solidifié sur le pinceau. Produit de qualité médiocre ; je n'achèterais plus cette marque.
Cette soirée me rendait nerveuse. Ma première du genre. Et j'y allai seule. Cependant je notai avec satisfaction les modifications de mon apparence. Celle que je voyais dans le miroir était moi, tout en étant différente à la fois. À mesure que ce moi se métamorphosait, je prenais confiance. La coiffure vint en dernier. J'arrondis quelques boucles au fer et laissai mes cheveux danser librement. Un taxi, un trajet, et j'arrivai dans le saint des saints.

La soirée avait commencé. Si la piste de danse n'attirait encore que peu de monde, le bar était pris d'assaut. Sur des tabourets hauts, de longues jambes croisées montraient la chair blanche des cuisses de leur propriétaire. Autour d'elles papillonnaient des hommes en noir, de leur t-shirt au pantalon de cuir, à moins qu'il ne s'agît de vinyle où se reflétait la lumière de stroboscopes. Certains êtres qui déambulaient semblaient sortis d'un conte macabre, sortes de zombies en combinaison collée à la peau. D'autres exhibaient leur torse nu et leurs tatouages, leurs piercings et habits cloutés. Une princesse en perruque d'époque replaçait une mouche contre sa joue aussi blanche que la craie. Elle portait pour seuls vêtements les arceaux qui auraient dû soutenir une robe de bal. Sous cette cage métallique, j'admirai son inaccessible nudité.

Ce milieu interlope que j'avais tant fantasmé s'ouvrait enfin à moi. Je me sentis dans mon élément au milieu de cette population bigarrée. Mon rouge à lèvres couleur sang rehaussait mon teint pâle. Mon corps s'élançait, perché sur des bottines aux talons fins. Je m'avançai, en balançant les hanches, vers le seul espace libre devant le bar et m'y appuyai. Un homme aux épaules puissantes officiait comme barman. Son crâne nu et son anneau d'or à l'oreille droite me firent songer aux pirates de Stevenson. J'aimais les mâles qui affichaient leur crasse virilité. Celui-ci ne me décevrait pas. Je le hélai et commandai un rhum-coca.
Tout de suite, ma belle. Et un Cuba libre !
Il posa le verre en face de moi et effleura mes doigts.
T'es nouvelle ici ? Je ne t'ai jamais vue. Et crois bien que je t'aurais remarquée…
Oui, c'est la première fois que je viens.
Je m'appelle Jean. Et toi ?
J'hésitai une seconde.
Pomme.
Eh Erwan ! s'écria-t-il. Prends le relais, je te rejoins plus tard.
Puis, m'adressant à nouveau la parole.
Je serai ton guide, ma jolie pomme. Je te fais visiter, je te présente tous les mâles que tu souhaites approcher. À moins que tu préfères les filles ?
Devant ma moue :
Tu croques dans les deux si je comprends bien ? Ou plutôt, tu te laisses croquer ?
Il comprenait parfaitement.

Jean me prit la main et m'entraîna derrière la piste. J'imaginai sans peine que mon beau barman me ferait surtout visiter les recoins où l'on s'adonnait à des jeux sexuels et que les présentations viendraient seulement après sa propre satisfaction.
Sur la piste, deux femmes à la chevelure rouge dansaient, lascivement emmêlées. Leurs gestes sensuels électrisaient l'atmosphère. J'aurais aimé les voir se dévêtir et se rouler l'une sur l'autre, enchevêtrer leurs corps, se chevaucher. Comme Jean tenait ma main et m'entraînait fermement, je ne pus contempler plus longuement ces créatures félines.
Nous contournâmes la piste et arrivâmes devant une cage où un homme, attaché aux poignets et aux chevilles, était exposé, nu. Son sexe, dur, se dressait entre ses deux jambes écartées. Certains s'arrêtaient pour l'observer, comme ils l'auraient fait pour un animal dans un zoo.
Tony, petite chose, tu as été vilain ? Ta maîtresse t'a puni ? l'apostropha Jean.
Sur un banc recouvert de velours, une femme éclata d'un rire haut perché. La maîtresse en question, semblait-il, vu le regard de chien fidèle que lui adressa l'homme dans sa cage.
Recroquevillé aux pieds de la Domina, un homme vêtu d'un pagne léchait consciencieusement le talon de ses bottes. La femme saisit brutalement son admirateur par les cheveux et planta son visage sous son jupon, entre ses cuisses ouvertes. C'est ce moment que choisit Jean pour s'approcher d'elle.
Catharina, mes hommages.
Le barman s'inclina et fit un baise-main à la dominatrice qui lui sourit gracieusement. Puis elle grimaça : celui qui activait sa langue sous la jupe dut commettre une maladresse, car Catharina le repoussa vivement du plat de la main. L'homme en pagne recula. La Domina lui asséna un coup de la pointe de sa botte. Il tomba à la renverse.
Je ne peux me fier à personne. J'ai beau avoir mille sujets de me plaindre de mon Tonino, je reviens quand même vers lui, tant les pseudo-soumis semblent incapables de satisfaire la moindre de mes exigences…
Catharina jeta un œil à la cage.
Seulement, je prends soin de mon jouet. Il aime tant souffrir de me voir lui préférer un autre… Regardez comme il bande.
Nous regardâmes l'homme de la cage. Son érection était plus forte encore que lorsque nous étions passés devant lui. Un sexe large, épais. Une massue.
La Domina sembla subitement s'apercevoir de ma présence.
Et ta jeune protégée, tu ne me la présentes pas ?
Elle s'adressait à Jean comme si j'étais incapable de répondre à une question. Comme si j'étais moi aussi un objet dévoué à son bon plaisir ? J'en frissonnai.
Jean avait posé une main sur mes fesses depuis le début de la conversation. Celle-ci avait progressivement glissé sous ma jupe et caressait à présent directement mon cul. L'étrangeté de la situation, ce détachement qu'il faisait preuve à mon égard tout en se servant de la présence de mon corps, me troublait intensément.
C'est Pomme. Peu farouche. Bi. Un joli cul.
Tout en prononçant le prénom que je m'étais choisi, il palpait le pourtour de mon anus.
Catharina se leva et se tint devant moi. Elle me dépassait d'un pouce à peine et n'eut pas besoin de se pencher pour embrasser mes lèvres. Sa langue s'immisça dans ma bouche. Son baiser voluptueux chamboula mes sens. Jean n'avait pas ôté ses doigts. Il cherchait au contraire à les introduire en moi, mais la position était incommode.
Fais-la s'allonger sur ce banc, ordonna Catharina.
Cette femme disposait de moi comme elle l'entendait, ne me demandant pas avis. Mais me serait-il venu à l'idée de m'opposer ? S'abandonner aux mains d'autrui est un savoureux plaisir. À celles de Jean, obéissant aux ordres de Catharina, davantage encore. Je me couchai sur le dos. Mes jambes reposèrent de part et d'autre du banc.
La dominatrice sortit alors un couteau de sa poche et en dégaina la lame. Elle s'approcha de mon buste et caressa les lanières de mon corset.
Non, ce serait dommage de l'abîmer, décida-t-elle enfin en repliant son couteau. Et puis, jolie Pomme, tu n'as sans doute que peu de fringues féminines dans tes armoires. Je me trompe ?
Je ne répondis pas. Jean, de son côté, s'était aventuré sous ma jupe, côté pile cette fois. Il soupesait mes bourses.
C'est ça qui me plaît chez toi. Une gueule femelle et un sexe de mec.
Il souleva le tissu et descendit d'un geste ma petite culotte blanche. Ma verge, jusqu'alors compressé, se déploya.
Je n'aime que les langues épaisses des mâles, tu tombes donc à pic : tu vas remplacer l'autre idiot. Lèche-moi. Vois Tony, comme il a besoin d'être puni !
Catharina m'enjamba. Les pans de sa robe me couvrirent entièrement le visage. Sous cette sombre parabole, une éclaircie : les deux lèvres blanches qui encadraient sa fente. Je tirai la langue et les pourléchai. Catharina fléchit les genoux. Son antre tout entier se ventousa à ma bouche. J'aspirai le venin de la belle et rentrai ma langue le plus profondément que je pus. Plus bas, Jean s'amusait avec ma verge. Il la masturba, si fort et si vite, que j'éjaculai dans un spasme douloureux. Sur quoi, sur qui ? Je ne voyais rien, et même le bruit des conversations paraissait étouffé. Nous devions nous trouver à proximité des haut-parleurs. Mon cœur, qui battait au rythme des basses de la musique diffusée, engourdissait d'autres perceptions auditives. Je m'abandonnai aux attouchements dont j'étais gratifiée tout en exécutant une danse agile de la langue. Jean ne me laissa pas de repos : après mon éjaculation, il entreprit de redonner contenance à mon appendice en le prenant en bouche. J'étais bien. Je me sentais flotter dans ce monde étrange et merveilleux.
Une claque me réveilla. J'étais allongé sur le banc. J'avais perdu connaissance. Catharina, qui m'avait giflée, s'éloigna pour détacher son soumis. Je l'avais déçue, moi aussi… Jean m'aida à me relever et à ajuster ma tenue débraillée. Je ne remis pas mon slip, gluant de foutre.
Viens, je te conduis aux toilettes pour que tu te refasses une beauté. Ton maquillage a coulé.
Après ses précédentes paroles, assez brusques, je fus surprise de la délicatesse avec laquelle Jean s'occupa de moi. Il ne me laissa qu'un instant, pour prévenir son collègue, Erwan. Le prévenir qu'il s'absentait.
Je te raccompagne. Tu as vécu trop d'émotions en une soirée ! C'est la première fois que tu portes ce genre de tenue en public ?
Je fis un signe de tête pour toute réponse.
Je m'en doutais.
Après quelques secondes, il ajouta :
Tu me plais, c'est vrai ce que je t'ai dit. Tu me plais beaucoup, même...
Alors, ne t'arrête pas en bas de chez moi. Raccompagne-moi vraiment. Jusque dans mon lit.

Un petit extra ?

Texte que j'ai auto-édité sur Amazon, disponible uniquement pour les liseuses Kindle. C'est réducteur, surtout quand, comme moi, on a une liseuse Kobo et qu'on ne lit que le format ePUB...
Je n'ai jamais beaucoup aimé lire de longs textes sur des blogs. Mais il y a long et long et celui-ci est tout de même assez court. Pour celles et ceux qui n'ont pas de Kindle, voici Un petit extra ? que j'avais fait figurer sur mon ancien blog et que je propose à nouveau ici.

Je ne dis pas, il aurait pu en être autrement, c'est sûr. Il aurait suffi d'un refus, d'un geste pour faire savoir que gentiment, non merci, je n'étais pas intéressée. J'aurais peut-être perdu mon emploi, mais ma réputation aurait été sauve. Parce qu'être celle dont on peut tâter les nénés quand elle sert le café, celle qui s'agenouille et vous débraguette sur demande, celle qui se plie à toutes les fantaisies de ces messieurs-dames, ce n'est pas vraiment glorieux comme réputation, non, j'en ai conscience. Le gros Grégoire, à l'accueil, je l'ai bien entendu souffler à Brigitte que c'était dans ma nature, que j'étais vicieuse. « Faut pas la plaindre, cette garce, elle a ce qu'elle est venu chercher. Elle a le sang chaud et le feu au cul. » Comme si je m'étais présentée à ce job pour me faire mettre, n'importe quoi ! J'avais un copain à l'époque et il me suffisait bien : Victor, qu'il s'appelait. Il tirait son coup tous les soirs, alors le sexe, ça va, j'avais déjà ma dose ! Sitôt couché, Victor me foutait vite fait, j'écartais les jambes, mais pas trop parce qu'il aimait être un peu serré dans mon con, il y faisait quelques aller-retour, après quoi son engin dégoulinait dans le préservatif ajusté dare-dare avant de faire la chose et je devais lui laper les gouttes blanchâtres qui s'étaient collées aux poils - il en avait partout, ce cochon !-, « faire sa toilette » comme il disait, « pour être tout propre ». J'aurais préféré qu'il se douche plus souvent, cela aurait senti moins fort.
Après le nettoyage, il pionçait. Un comme lui, ça suffisait, vraiment ! Je ne vois pas pourquoi j'aurais souhaité me faire encore ramoner. Le gros Grégoire ne savait pas de quoi il parlait. Qui plus est, ce ne serait pas plutôt lui, le vicelard ? Parce que je l'ai surpris, une fois, l’œil aux aguets : il m'avait maté en levrette, j'en mettrais ma main à couper. Il n'était d'ailleurs pas le dernier à sortir sa quéquette, mais je ne veux pas médire… Il a bien assez de problèmes lui aussi, maintenant que la tuile nous est tombée dessus. C'est une image, hein, le toit n'avait pas d'avanie. Ou avarie. Je ne sais plus comment on dit. Les mots, ça se ressemble trop des fois.
Mais je parlais de Victor qui dormait. Je me finissais seule, un doigt humide planté dans le cul, le pouce sur le clito. Je pensais à un baiser romantique avec un acteur de cinéma pour me faire venir. Un brun de préférence. Vous avez de beaux cheveux, on vous l'a déjà dit ? J'ai toujours eu un faible pour les bruns, avec la peau douce, mais une barbe naissante qui pique un peu. L'amant de mes rêves prenait mes lèvres, en dessinait le contour avec sa langue comme s'il allait déguster une glace Haagen Dazs, et ça me faisait monter au rideau. D'autant mieux que j'activais deux doigts dans mon vagin au même moment. L'orgasme, ça, c'est bon ! Ça requinque après une journée de labeur ! Cette expérience quotidienne me laissait béate et les doigts poisseux. Il était tard, Victor ronflait, je me tournais de mon côté après m'être essuyé sur les draps.
Ah, quand j'y pense, combien de draps épongeaient les forfaits des clients ! Je me baladais le matin avec mon panier à linge posé sur un chariot. Les draps à changer, c'était une partie de mon travail. Brigitte, elle, passait l'aspirateur. On faisait équipe toutes les deux. Mais il n'y avait que moi qui m'occupais des « extra », c'est-à-dire des demandes particulières d'une clientèle qui connaissait les possibilités que l'hôtel leur offrait. Je reprends texto la formule de Monsieur Georges. « Extra », c'était quand même plus court à prononcer, alors on a appelé ça comme ça. Le bouche-à-oreille avait dû marcher plein pot parce que des « extra », j'avais dû en faire de plus en plus.
Les premières semaines qui avaient suivi mon embauche, c'était timide, je me souviens par exemple d'un PDG ou quelque chose comme ça, un homme en costard, avec une petite mallette de cuir, qui m'avait mis la main au cul, mais comme par inadvertance. C'était tout juste s'il ne s'était pas excusé : sa main avait dépassé sa pensée, qu'il m'avait dit. Tiens donc, comme si je croyais ça possible, une main autonome, qui se baladait sur mon fessier. À d'autres ! J'ai donc souri, l'air de dire que je n'y croyais pas, à son histoire, mais que je ne lui en voulais pas non plus. Il ressemblait trop à un petit garçon pris en faute, ça m'a touchée. Apparemment, je n'aurais pas dû sourire, parce qu'il a considéré ça comme un encouragement. « Ah, mais tu n'es pas farouche, c'est bien, combien de donzelles se mettraient à crier à ta place et m'accuseraient de harcèlement alors que je ne leur veux que du bien ! » Oh ça non, je ne criais pas, moi, c'était certain, je n'avais pas envie qu'on me prenne pour une nigaude qui avait peur qu'on lui touche le derrière. Le PDG avait alors replacé sa main où elle se trouvait un peu plus tôt, mais franchement cette fois, comme pour encourager mon penchant à la clémence. Le pauvre homme avait sans doute besoin d'un peu de compassion, il ne pouvait pas s'amuser à ce genre de jeux avec des gens de son monde. Moi, ça allait, j'étais là pour le servir de toute manière : remplir une tasse de café ou se faire mettre une main au cul, quelle différence ? Seulement, quand sa main est passée sous ma culotte et qu'il m'a assoupli la rondelle de son index, j'ai poussé un soupir. Pas bien fort, mais un soupir quand même. Allez savoir comment cette histoire s'est propagée ! Il a pensé que j'aimais qu'on me touche à cet endroit et les clients ont dû parler entre eux.
Mon PDG n'a pas trouvé le temps ce jour-là de faire autre chose que de glisser un doigt dans mon petit trou. Il m'a bien fait comprendre que c'était à regret qu'il s'arrêtait là. Il reviendrait sûrement dans le même hôtel au congrès suivant. Je ne l'ai jamais revu, cependant. C'est bien dommage, car il avait des manières douces. Sa pine plantée dans l'orifice en question m'aurait sans doute fait moins mal que celle de Victor.
D'ailleurs, c'est peu de temps après qu'on a rompus, Victor et moi. Je lui ai dit ses quatre vérités en face, à ce crétin, qu'il y existait des hommes moins rustres que lui, qui savaient me tirer des soupirs, comme le PDG avec son doigt dans l'anus, et qu'après tout ça, je n'avais plus envie que sentir sa queue dans l'un ou l'autre de mes trous. Il l'a mal pris, d'autant que je rapportais plus de fric depuis que toutes ces petites histoires de doigts dans le cul et de sexe en bouche avaient commencé, et ce surplus lui aurait permis d'acheter un écran plat. Mais bon, ce fric, de toute façon, c'était en récompense de mes extras, alors je n'allais pas partager avec mon mec. J'en ai placé une partie à la banque, pas bête la fille, j'ai préparé mes arrières parce que je savais qu'un jour ou l'autre ça finirait, c'était trop beau pour être vrai, et avec le reste je me suis offert des soins en institut, des masques, gommages, massages, une tuerie ! Le soir de la rupture, j'ai balancé les affaires de Victor par la fenêtre. Mon keum a gueulé comme un putois et a dévalé les escaliers. J'ai fermé derrière lui ; il n'a plus remis les pieds chez moi.
Sans Victor, j'étais tranquille, je pouvais gérer mon argent comme je le voulais. Et puis mon fondement avait besoin de repos en fin de journée, parce que les clients aimaient bien jouer avec ce trou-là. Me prêter aux va-et-vient d'un mec dans cette ouverture – le salaud ne se contentait plus de l'entrée naturelle, il réclamait l'autre, tellement plus étroite qu'il giclait encore plus vite, et après je me coltinais le nettoyage, vous imaginez ? -, en plus de tout le taf que j'avais à l'hôtel, c'était trop me demander. Par contre, mon vagin était un peu délaissé, il faut le reconnaître. J'ai donc aussi prélevé un peu d'argent dans ma cagnotte pour m'acheter un gode qui me remplissait bien le con. Je m'en servais tous les soirs en invectivant Victor, ça me faisait marrer de lui crier dessus, comme s'il était là, de gueuler qu'il avait une chique molle, un tout petit boui-boui, et que mon gode au moins savait me satisfaire. Comme je lui parlais tous les soirs, les voisins croyaient qu'on était encore ensemble. Ça aussi, ça me faisait marrer.
Mais il faut que je revienne à mon PDG, au moment décisif où ma réputation s'est jouée, lorsque j'ai accueilli ce doigt qui m'enculait alors que je venais servir un petit-déj’. Pour moi, cette presque pénétration – il y a des circonstances atténuantes, il ne m'avait pas piné avec son braquemart tout de même ! - était une marque de bienveillance. Oui, parfaitement, de la bienveillance. Au fond, il voyait que moi aussi je subissais du stress, les lits devaient être impeccables, sans plis, au carré comme à l'armée, que le café ne soit pas froid en arrivant dans les tasses, que je ne confonde pas celui qui demandait deux croissants et un sucre avec celui qui voulait un café noir avec le journal du jour. Il faut une bonne mémoire, voyez-vous, dans ce métier. Et la moindre erreur coûte cher. Alors une petite distraction, un chatouillis bien placé pour me détendre, c'est quand même gentil de sa part, non ?
On sous-estime le stress des employés d'hôtel, moi je vous le dis. J'avais entendu une fois Brigitte se faire remonter les bretelles par Monsieur Georges parce qu'elle avait accompagné un jus de fruits de galettes bretonnes alors que la cliente était au régime sans gluten. Ça a bardé ! Et qui a offert une réparation ? Bibi, pardi, vu que cette gourde de Brigitte ne s'abaisse pas à faire minette aux dames. Déjà qu'aux messieurs, elle refuse tout net de leur sucer la verge, même quand celle-ci sort du caleçon tellement elle est raide et que ce serait inhumain de la laisser aussi dure, sans proposer de soulagement. Elle a le beau rôle, la Brigitte, n'empêche ; elle se goure et c'est moi qui ai de la mouille plein le menton.
Ce n'est pas que je déteste les dames, lécher leur vulve, poilue ou pas d'ailleurs, je ne fais pas de distinguo là-dessus, tant que c'est lavé, mais tout de même, je préfère le goût du sperme. Et puis j'ai lu dans un magazine que cela donnait un épiderme de reine, alors je m'en tartine un peu le visage, quand je le peux. Il y en a de toute manière toujours un qui aime l'éjac' faciale, ça facilite le soin express de ma peau. Ou un qui me demande de dégager mon buste, d'ôter mon chemisier blanc et mon soutif assorti et qui vise mes seins, splash ! On verra qui aura une belle peau, on comparera dans dix ans, entre Brigitte et moi ! Elle aura des surprises, et elle regrettera.
Malgré tout ce que je raconte, je ne lui cherche pas de noise, à Brigitte. Au fond, c'est une bonne collègue. Mais il est vrai qu'elle est coincée, niveau sexe. Alors le jour où un client a demandé à faire ça à trois, j'ai été obligée de la maintenir sur le lit pour qu'il l'enfile pendant que je léchais la raie du type. Vu ma position, je pouvais aider qu'en tenant ses jambes à plat, et ce n'était pas facile, parce qu'elle ruait comme un âne. Brigitte a braillé pendant l'acte, comme si on la maltraitait ; elle m'en a voulu après, malgré le joli billet qu'on lui a remis ; j'ai eu beau lui expliquer que je ne pouvais pas faire venir le gros Grégoire, tout de même, pour un plan à trois, elle m'en a quand même voulu. Le Grégoire, impossible ! Il aurait été capable de sodomiser le client alors que ce n'était pas ce que le monsieur souhaitait. Avec lui, c'était un coup les hommes, un coup les femmes, il est dans une zone sans frontière ; tout lui convient, pourvu que sa queue frétille. Et il n'y met pas de forme : s'il voit un cul, il s'enfonce sans poser de question. Il m'avait déjà enfilé, celui-là, et pas qu'une fois. Je ne veux pas médire non plus sur lui, mais on a intérêt à faire gaffe avec ce porc, il ne faut pas lui tourner le dos… Je sais comment il s'y prend, il bourre le fion et pistonne ferme. Plus d'une fois, je me suis retrouvée ainsi, la jupe levée, le buste penché sur mon chariot, attendant que cela finisse. C'est que j'avais autre chose à faire, moi ! Le gros Grégoire, lui, sur son siège à l'accueil, glandait toute la journée. Il se paluchait pour passer le temps, je ne l'apprendrais à personne, même que les bordereaux de l'hôtel gardaient parfois des traces de ses exercices manuels…
C'est comme les draps dont je vous parlais tout à l'heure. On sait tout des clients d'un hôtel en regardant leurs draps. Les couples qui ont baisé, ceux qui se sont offert un petit plaisir solitaire. Tout, je vous dis. Dès que je vois les draps, j'imagine sans peine ce qu'il s'est passé. Parfois j'y mets le nez pour confirmer mes soupçons. J'en rigole avec Brigitte, parce que pour parler, ça va, elle n'est pas aussi fermée de la bouche que du cul.
Je suis peut-être un peu méchante avec Brigitte. Faut dire qu'elle était amoureuse… Vous n'avez pas deviné ? Mais elle en pinçait pour Monsieur Georges ! À moi, on réservait les clients, mais pour Brigitte, c'était service complet pour le patron. Quand il faisait les comptes, qui se pliait sous le bureau pour lui pomper le dard ? Brigitte évidemment ! Le patron, c'était chasse gardée ! Ah, monsieur Georges était un professionnel, jamais il n'a cherché à me toucher. Cela me chiffonne quand même un peu... soit dit entre nous, parce que je ne voudrais pas qu'on pense en plus que je songeais à me faire le patron.
Voilà, vous me comprenez mieux maintenant. Lorsque monsieur Georges est mort subitement tandis que Brigitte lui faisait un pompier, oui comme l'autre-là, le président de je ne sais plus quoi, on me l'a déjà raconté, mais ce n’est pas une consolation… Donc je disais, le patron mort, on s'est retrouvés tous les trois dans la panade. L'hôtel est en vente et nous sans emploi. Ma petite réserve à la banque a vite fondu, comme du chocolat au soleil. Je m'en léchais les doigts, justement, et me suis essuyé sur un papier journal, en souvenir de Grégoire et de ses bordereaux peut-être, - c'était le bon temps ! - quand j'ai vu votre annonce, pile sous la coulée marron. Ce n’est pas le destin, ça ? Alors me voilà ! M'occuper d'un mioche, je saurai faire. Le ménage, la cuisine, pas de souci. Je serai sérieuse, assidue, je le promets. Je peux vous faire une pipe, si ça vous dit ?