Formule tout compris

Formule tout compris est une petite histoire érotique que j'avais écrite pour un appel à textes de la Musardine. Elle n'a pas été retenue. Je l'ai mise un temps sur mon ancien blog, puis l'ai intégrée au recueil de nouvelles que j'ai autoédité, Le sexe est une folie (encore disponible sur smashwords et d'autres plateformes de téléchargement comme Kobo). Je vous propose à présent de la lire à nouveau (ou de la découvrir) :


Vendredi 24 décembre, 11h30
Sale journée. D’abord, il fait un vrai temps de décembre, avec de la neige comme on n’en attendait plus, des trottoirs qui glissent faute de sel, des chaussées couvertes de gadoue. Et puis c’est la veille de Noël... Si la chaleur humaine et les bons sentiments sont l’apanage de la journée de fête, auparavant il faut compter sur une recrudescence d’indifférence et d’impolitesse. Le 24, c’est clair : on est là pour se faire piétiner dans les magasins, pour dilapider son argent et pour se faire gruger alors que l'on espère une affaire.
La journée s’annonce mal : midi approche, je vais essayer de grignoter deux heures sur la pause déjeuner pour trouver le cadeau idéal pour mon mec, deux heures et c’est tout, car le boulot m’attend, que je dois aussi faire bonne figure à une petite sauterie imaginée par le patron avant que je ne puisse regagner mes pénates et enfiler mon tablier de cuisine pour me farcir la préparation du réveillon. Et avec ça, il faudra être fraîche et pimpante.
Je me surprends à râler, assise à mon bureau, comme si la morosité du temps m’avait gagnée, moi aussi. Enfin quoi, c’est Noël ! On se bouge, on sourit...
11h50
Ultime appel de la matinée. Je raccroche et me précipite sur mon béret : il est grandement temps d’arpenter les magasins. Évidemment, tout le monde a la même pensée, les mêmes impératifs : trouver le cadeau idéal à la dernière minute. Et je me maudis, comme tous les ans, de ne pas avoir anticipé, de ne pas avoir fait mes achats sur Internet, de ne pas savoir que choisir, de n’avoir aucune idée de ce qui lui plairait. À chaque Noël, à chaque anniversaire, même galère. Et cela fait trois ans que nous sommes ensemble. Que pourrai-je trouver ? Le jeans bien coupé et les baskets de marque, soit. Des polars pour sa bibliothèque. Quelques gadgets numériques. Combien seraient-ils à se reconnaître dans ces goûts ? Éric est pourtant différent des autres, il a des trucs bien à lui, une façon de choisir la bonne bouteille de vin pour accompagner le plat qu’il a préparé, une façon de rire, une façon de me regarder qui me file des papillons dans le ventre, bref, ce n’est pas un parmi les autres, c’est lui, et je peine à trouver un cadeau qui se démarque des autres. Qui lui montre que je tiens à lui. Parce que je me mets la pression à cause de ça : je veux lui montrer qu'il est l'homme de ma vie. Trois ans et c’est toujours l’osmose. Cela ne m’était jamais arrivé auparavant.
Il est midi et c’est la cohue, comme prévu. J’entre dans le centre commercial et me retrouve plaquée sur des escalators contre une femme aux fortes hanches qui tient son poupon dans une écharpe.
« Et si on faisait un bébé ? » J'ai bien pensé à cette offre, j'y pense depuis plusieurs semaines, mais serait-ce un cadeau d'entendre ça ? Sera-il prêt ? J'ai peur de me planter royalement.
Je passe devant les boutiques au pas de course. Rien, encore rien, toujours rien. Je m'arrête un instant devant une agence de voyages et sur une affiche, je lis : « Week-end en montage, location de chalet, formule tout* compris ». J'écarquille les yeux pour lire en petites lettres ce que suppose l'astérisque. « Verre de bienvenue, location de skis, forfait remontée, fondue savoyarde et autres surprises. » Destination : Les 7 Laux, versant ouest - Prapoutel. Ce court séjour a lieu dans trois jours. Étant donné qu'il s'agit d'une offre de dernière minute, le prix a été revu à la baisse. Une occasion à ne pas laisser passer !
Je ne tergiverse pas, c'est le cadeau idéal : un week-end à respirer l'air pur de la montage, deux jours pour se détendre ! De plus, Éric adore skier. À notre retour, ce sera peut-être le bon moment...
***
Vendredi 27 au soir
Après trois heures trente de voiture dans des conditions météorologiques acceptables, compte tenu du sale temps dont nous avons bénéficié depuis le 24 décembre, nous arrivons au chalet. Comme prévu, un verre de bienvenue nous est servi. Florent, chargé de l'accueil par l'agence de voyages, a ouvert la porte, nous a confié les clefs et nous prévient que les deux autres couples sont déjà arrivés. Deux autres couples ? Je tique, mais ne veux pas faire un esclandre, de peur de ne pas avoir lu suffisamment attentivement les petites lignes du contrat de location. Je croyais qu'on serait seuls... J'ai dû conclure si vite l'affaire pour ne pas être en retard au bureau ! Et puis que va penser Éric si je lui dis que je me suis trompée ? Je reprends bonne contenance, réponds que nous serons enchantés de rencontrer les deux couples présents ce week-end. La fondue offerte par l'agence nous réunira autour de la grande table. Ce n'est pas au cours de ce dîner que je trouverai l'occasion de préparer le terrain pour le bébé...
Je pose en vrac des affaires sur une étagère, prends une douche rapidement et descends dans le séjour. Éric a déjà fait la connaissance des locataires, il m'accueille d'un « et voilà Camille ! ». Chacun décline à son tour son identité. Je fais la bise à tous. Il y a Alice et Thibaud d'une part, Zoé et Martin d'autre part. Des couples de notre âge. Cela aurait pu être pire ! Les quatre vacanciers ne sont pas antipathiques, à première vue. Et puis nous ne sommes pas obligés de les avoir tout le temps sur le dos : une fois la fondue terminée, ce sera chacun chez soi.
Je retrouve en partie ma bonne humeur, volatile en cette période de fêtes. Nous prenons place à table. Au milieu trône le récipient à fondue. Nous plongeons nos piques dans le fromage gluant. Avec ce type de plat, on ne sait jamais très bien ce que l'on mange. On peut nous faire croire que c'est du Beaufort ou du Reblochon premier cru, quand ce ne sont peut-être que des chutes de fromage périmé.
« Camille ? T'en dis quoi ? » Je sursaute. Je n'ai rien écouté, perdue dans mes pensées sur les qualités douteuses du fromage. Je ne me sens pas dans mon assiette. La fatigue du voyage, sans doute : j'ai préféré tenir le volant tout le long, parce que la conduite d'Éric sur autoroute me fait flipper.
Éric vient à mon secours : « Alice a perdu son morceau de pain. Il lui faut un gage, c'est la tradition ! Thibaud propose quelque chose d'un peu coquin... »
En l'occurrence, Alice doit mimer une fellation. Je n'y vois aucun inconvénient. Tant que ce n'est pas moi qui dois le faire !
Alice, prise d'un rire nerveux, met quelques minutes avant de se calmer et de commencer son mime. Elle arrondit les lèvres et sort sa langue. Elle me semble ridicule.
« Attends ! Ce serait mieux avec un objet ! » dit Thibaud.
On fouine dans les placards. Éric trouve une queue de casserole amovible qui a la forme requise. Il la tend à Alice qui recommence à glousser. Mais fichez-lui la queue dans la bouche, qu'on ne l'entende plus ! Alice s'en empare enfin et commence à la sucer. Nous avons tous les yeux rivés sur elle. Elle salive beaucoup, fait couler sa bave sur le manche, l'embouche, creuse les joues... Cela semble soudain moins ridicule. C'est à la fois crade et assez excitant. Le manche est englouti, réapparaît. Alice fait de longs va-et-vient. Elle aime apparemment se donner en spectacle.
« J'en aimerais bien une comme ça ! » déclare subitement son compagnon.
Alice réagit au quart de tour. Elle pose la queue de casserole et se dirige vers Thibaud. Mais, elle ne va pas le faire tout de même ! Pas devant tout le monde ! Et personne ne dit rien !
Non seulement personne ne dit rien, mais on se penche, on s'approche pour mieux voir, on fait cercle autour d'elle et je ne fais pas exception. Alice ôte le bouton qui ferme le pantalon et descend la braguette. Puis elle glisse sa main dans le slip, soupèse les couilles, prend le temps de les palper sous le tissu. Chacun est suspendu à ses gestes. Alice extirpe alors une verge gonflée, bleuie par les veines qui la parcourent. C'est un outil de belle taille, sans commune mesure la banale queue de casserole... C'est pour cette raison que cela lui a semblé si facile tout à l'heure ! Elle doit avoir l'habitude des gros gabarits qui lui déforment la bouche !
Alice approche alors ses lèvres de l'instrument et pince le prépuce du bout des lèvres, bécote le gland. Des petits préliminaires frustrants. On attend davantage ! Qu'elle s'y mette vraiment ! Enfin, elle embouche la verge entière. Pour que l'engin s'y sente à l'aise, elle écarte grand les mâchoires. Thibaud se cale sur sa chaise et soupire de contentement.
Sans lâcher des yeux la turlute, Martin pique distraitement dans la fondue et y perd un bout de pain. Zoé le remarque aussitôt : « Eh eh ! À ton tour d'avoir un gage ! » La jeune femme, survoltée, ne demande pas avis sur la nature dudit gage. Elle baisse d'un même geste vif son pantalon et sa culotte et roule les vêtements en boule aux pieds de sa chaise. Puis elle s'assoit en bordure, écarte les jambes et commande : « Allez, au travail ! Montre-nous ce que tu sais faire ! Lèche-moi, fais-moi jouir ! » Martin ne se fait pas prier, comme s'il n'attend que ça depuis le début du repas. Il s'agenouille et approche son visage de l'amande gluante de sa compagne.
Je me demande s'il n'a pas fait exprès de perdre le morceau de pain et si toute cette soirée n'est pas un coup monté par les deux couples. Tous les quatre doivent être des exhibitionnistes en goguette. Je ne vois pas comment il peut en être autrement.
Martin colle son nez à la vulve, la hume, et donne de rapides coups de langue sur le pourtour, comme pour défriser les poils. De chaque côté de la fente où perle son excitation, Zoé laisse chacun admirer de petites lèvres presque violettes. Son odeur de coquillage monte jusqu'à mes narines. L'association du fromage et de la moule, quelle fragrance ! Mais cela n'incommode pas Martin, semble-t-il…
Zoé soulève si bien ses fesses qu'on distingue jusqu'à son petit trou. Un œillet noir, froncé, serré, presque austère. Pour le détendre, le faire sourire, rien ne vaut une bonne sucée... Martin, qui donne de grands coups du plat de la langue, semble vouloir relier d'une traînée de salive le clitoris à l'anus. À la place de Zoé, j'aurais apprécié qu'un doigt s'insinue derrière et que les coups de langue se concentrent sur la petite friandise placée devant. Mais à chacune ses préférences ! Martin doit savoir ce qui fait le plus plaisir à sa compagne...
Éric, qui quitte seulement des yeux la fellation prodiguée par Alice, observe quelques minutes le cunnilingus voisin. Chiche qu'il pense à la même chose que moi ! Pourtant, il s'exclame : « Trop facile de mettre en place des gages au sein des couples ! Ce qu'il faut, c'est intervertir ! Qu'Alice prenne la place de Zoé et Zoé celle d'Alice ! Voilà ce qui serait réellement un gage ! » Est-ce une plaisanterie de sa part ? Je ne perçois rien dans l'intonation de sa phrase qui laisse présager une absence de sérieux. Alice sort la verge de sa bouche. Martin cesse ses coups de langue. Personne ne souffle mot. Comment les filles vont-elles réagir ? Et leur homme ? Zoé et Alice se regardent. Elles semblent sceller un accord sans avoir échangé une parole. Zoé se lève et se coule le long des jambes de Thibaud. Les gestes sont synchronisés, car au même moment, Martin se place entre les jambes d'Alice qui s'est assise après s'être débarrassée de ses vêtements.
Les succions reprennent, de part et d'autre, accompagnées de bruits mouillés. À un détail près : la chatte d'Alice sent moins fort. Je respire mieux.
Comme c'est cochon à regarder ! Je n'avais jusque-là jamais vu un tel spectacle, du moins dans la réalité. Je croyais qu'il n'y avait que dans les films pornos qu'une telle démonstration était possible. Mis à part dans les lieux échangistes, bien sûr. Par chance, je suis aux premières loges. Je jette un œil sur Éric. Je vois une jolie bosse se dessiner, pas de doute : il bande. Ces scènes de sexe oral commencent à m'émoustiller, moi aussi. Ma mouille coule. J'ai envie de lécher et d'être léchée, par Éric, ou par quelqu'un d'autre...
« Tu veux participer ? » me demande Éric. Je me suis trahie en passant la langue sur mes lèvres. Je ne sais cependant quoi répondre sans me dévoiler tout à fait. J'ai besoin d'un prétexte.
Éric est un champion pour me sortir des mauvais pas. Il comprend ma pudeur, c'est pourquoi il laisse tomber un morceau de pain dans le plat à fondue. « Oh, zut ! Mon aussi ! Tu me donnes un gage ? » propose-t-il. À mon tour de lui offrir de laper ma chatte ! J'en frémis. Je déboutonne mon pantalon et descends, comme Zoé un peu plus tôt, tout ce qui me couvre. « Attends, j'ai une meilleure idée qu'un simple cunni », me dit-il. Il me prend la main. Nous nous éloignons de quelques pas, jusqu'au coin salon, et nous nous installons dans un tête à sexe qui nous contentera tous deux. Sa langue s'active directement sur mon clitoris. C'est bon. Au-dessus de lui, je commence à pomper vigoureusement sa verge. Les deux couples qui s'adonnent aux joies du sexe bucco-génital seront-ils tentés de nous imiter ? Il manque des banquettes dans cette pièce pour satisfaire à toutes les envies..
Mais peu importe, je ne m'occupe plus d'eux. Je ne pense qu'au plaisir que je prends et à celui que je donne. C'est tellement bon que je crains de serrer sa verge un peu fort, de la mordre. Éric a un don pour mignarder mon clitoris. Sa langue frétille, je ressens de courtes décharges électriques. C'est le moment qu'il choisit pour introduire l'index dans le vagin et le pouce dans l'anus. Cette pince-là est sa botte secrète pour me mener à l'orgasme. Je râle. Il sait s'y prendre, le salaud ! Je ne veux pas être en reste : je gobe sa verge jusqu'aux couilles. Un peu trop profondément cependant, car elle me chatouille la glotte. Et soudain, c'est le haut-le-cœur...
***
Samedi 28
Je me réveille. Il fait jour dans la chambre. Éric enfile un sweat polaire.
« Il est quelle heure ? » C'est seulement en prononçant cette question que je me rappelle la débauche devant la fondue... jusqu'à mes vomissements. J'étais tellement barbouillée ! Je me sens encore nauséeuse. J'ai eu raison d'émettre des doutes sur la fraîcheur du fromage !
Éric vient m'embrasser. « Je te propose de rester au chaud ce matin. Je te monte ton petit-déj et file faire quelques descentes. Ce serait bête d'être aux 7 Laux et de ne pas profiter de la neige ! On se retrouvera pour le déjeuner. Vers 14 heures, ça t'ira ? » J'acquiesce. Je me sens trop mal pour skier et je n'ai pas envie d'être un poids pour Éric. C'est son cadeau, ce week-end, et j'ai déjà suffisamment gâché la veillée...
« Cela a fini comment, hier soir ? » questionné-je. « Après le sexe buccal, ils en sont venus à des pénétrations, un coup l'un, un coup l'autre, voire tous en même temps. Cela a commencé sur la table, après avoir débarrassé la fondue, et ils ont terminé dans les chambres. On est tombé sur des voisins mélangistes... » Je n'ose pas demander s'il n'a fait que regarder. Mieux vaut que je chasse cette idée de ma tête. Je sais qu'Éric m'aime et qu'il ne fera rien sans moi et sans mon consentement. Enfin, je le crois...
Le chalet se vide. J'entends la porte d'entrée se refermer, puis c'est le silence. Je grignote une tartine. Je me sens subitement mieux, presque sereine. Je me lève et regarde par la fenêtre. Le ciel est bleu. Ce sera une belle journée. Je m'étire, et soudain je comprends. Ou plutôt, je devine. Il faut que j'en sois sûre. Je prends une douche, m'habille et sors.
De retour dans la chambre, j'ouvre la boîte et lis la notice. Uriner, attendre trois minutes et lire le résultat. Ce sont trois longues minutes qui s'égrènent. Je n'ose d'ailleurs pas regarder trop tôt, de peur que le résultat s'affiche plus tard que ce qu'affirme la notice. Je me force à patienter deux minutes de plus. Et une minute encore, de peur d'avoir mal compté.
Sur le test, les traits roses confirment que je suis enceinte. Je suis tellement émue que les larmes se mettent à couler sur mes joues. Cela explique l'humeur maussade, la fatigue, la nausée... les envies de sexe ?
Il me reste une heure avant le retour d'Éric. Je trouve une serviette de table en papier coloré, y emballe le test, scotche l'ensemble et dessine un cœur par-dessus. Le cadeau que je lui ai offert ? Un week-end en montagne, formule tout compris. Le « tout » prendra un sens nouveau lorsque je lui remettrai ce paquet.

Isa, été 93

Petit texte publié initialement aux éditions L'ivre-book, Isa, été 93 n'a guère été lu. Il n'a rien d'extraordinaire, à vrai dire, et j'avoue que le procédé d'écriture où je narre un "souvenir" entre deux passages "contemporains" me semble particulièrement éculé... Comme les éditions L'ivre-book ferment leurs portes, je vous le propose cependant ici.


J'étais recroquevillée en boule entre ses jambes, les mains placées à plat de chaque côté de l'aine. J'adoptais en somme cette position du chat que ma prof de yoga préconisait pour assouplir le dos. Et je ronronnais ainsi contre la chaleur de ses cuisses, la langue sortie pour sucer ses bourses blanches. La chair pigmentée de sa peau tendre, sa verge mi-molle... Quelques coups de langue appuyés plus tard, je sentis le durcissement de son membre.
En avril, l'air était encore frais ; nous étions si bien sous les draps, alors que les grands-parents avaient pris les enfants en vacances, et que le dimanche était enfin synonyme de glandouille et de baise matinale. Je léchais sa verge avec minutie, en de longs lapements appliqués. Je pensai, en caressant du bout de la langue l'extrémité douce de son gland, que jamais je n'aurai léché la fente d'une femme, que jamais je n'aurai aventuré les lèvres à l'entrée d'un jardin parfumé.
J'en avais été proche, pourtant. Si près, cet été-là, mes sens furent embrasés puis éteints, si vite éteints hélas, que j'en gardai longtemps un goût de cendre dans la bouche.

Plein été, dans le Var. La tante d'Anna vivait sur les hauteurs de Toulon, dans un appartement étroit. Anna était une copine de lycée. Comme elle ne souhaitait pas partir seule, et rester seule surtout pendant que sa tante travaillait, elle m'avait proposé de l'accompagner pendant deux semaines de vacances.
Je n'aurais jamais imaginé sa tante telle que je la découvris à la gare, nous saluant d'un grand signe de la main. Menue, vive, la peau bronzée, les cheveux courts, elle portait des tongs jaunes et une jupe évasée si courte qu'elle dévoilait ses cuisses à chaque mouvement de hanches. Son dynamisme, la discussion tout de suite entamée, ses sourires, tout m'intimidait et me charmait. Je l'écoutais, un peu gauche avec mon sac de voyage à l'épaule. J'étais une adolescente timide, malhabile de ses mains et maladroite surtout à cause du corps que je traînais. Un corps qui avait changé si soudainement que je ne m'étais pas encore adaptée à ses nouvelles formes ni aux regards que ces dernières commençaient à susciter.
Plein été, il faisait chaud, il faisait soif. Isa, la tante d'Anna, nous conduisit directement chez elle une température agréable était maintenue grâce aux volets fermés. La douce pénombre fut propice aux propos badins, aux confidences et aux rires étouffés. Isa était si jeune, bien plus que la mère d'Anna à laquelle elle ressemblait peu. Autour d'un grand thé glacé, nous devînmes amies. Pas de ces amitiés durables sans doute, mais de celles qui naissent de la complicité de l'instant.
Isa évoqua devant nous ses propres vacances lorsqu'elle était adolescente, les garçons au café, le baby-foot auquel elle feignait de s'intéresser afin d'effleurer ce gars aux yeux noirs, un premier baiser échangé là, sur le même baby-foot sur lequel elle s'était assise. Et cet été en colonie, sous une toile de tente, le babillage jusque tard dans la nuit. Elle s'appelait Myriam et portait une natte qu'elle tressait habillement chaque matin. Un soir, Myriam s'était collée à elle... C'était un contact si intense... Leurs mains firent le reste, les attouchements, les caresses.
C'était donc cela, faire l'amour avec une femme...
Isa était partie loin dans ses souvenirs, le regard vague. Sa voix s'était altérée au point de finir dans un souffle. Malgré la chaleur, j'avais la chair de poule. Qu'en était-il de mes propres expériences ? Un rapide baiser une langue flasque s'était frottée contre la mienne. Il s'appelait Jean-Baptiste ; c'était deux ans plus tôt : une promenade main dans la main et le lendemain je recevais une ligne griffonnée sur un papier à gros carreaux. Terminé, t'es trop nulle. Je n'avais jamais compris ce qui s'était passé. Rien ni personne depuis cet échec. Je ne m'y risquerais plus, pensai-je alors. Pourtant, lors de l'évocation de ces contacts tendres avec sa jeune amie Myriam, j'étais suspendue aux lèvres d'Isa, avais retenu ma respiration et un chatouillement inconnu m'avait parcourue.
Après une courte promenade pour nous familiariser avec les rues adjacentes, plan en main, nous retournâmes, Anna et moi, dans l'appartement nous attendait Isa. Le dîner fut jovial. Isa cuisina une poêlée de légumes du marché.
Il faudra vous y habituer, les filles, je suis végétarienne. Et j'espère que vous n'avez rien contre le pain complet, car c'est le seul que je mange, nous dit-elle en pointant du doigt la panière.
Anna esquissa une grimace dans le dos de sa tante, ce qui me fit sourire. Pour ma part, je m'en fichais un peu. J'étais en vacances, prête à découvrir tout ce qui se présenterait, plats végétariens, pain complet s'il le fallait, tout, que cela soit alimentaire ou... Je rougis subitement, imaginant Isa collée à mon corps. Je toussai, feignant d'avaler de travers un morceau de poivron. Lorsque je levai les yeux, Isa me souriait. Sa peau bronzée faisait paraître ses dents d'une éclatante blancheur. Elle était divinement belle. J'aurais aimé lui ressembler.

Anna et moi partageâmes le temps de nos vacances une petite chambre meublée d'un lit double et d'un portant. Les murs étaient blancs et des rideaux roses apportaient une touche de couleur délicate. Nous étions fatiguées. Cette première nuit, nous dormîmes d'une traite jusque tard. À notre lever, Isa était déjà partie travailler, nous laissant un mot sur la table de la cuisine : « Il y a des fruits dans le tiroir du frigo, vous trouverez aussi des légumes, des yaourts... Servez-vous ! Je serai de retour vers 17 heures. Ciao, belle ragazze ! »
Isa avait ponctué ce message d'une trace de rouge à lèvres que j'effleurai, songeuse, de mon index.
Belle ! Tu nous trouves belles, toutes les deux ? demanda Anna, m'entraînant vers un miroir.
Dans ce reflet, deux filles, nous. Belles ? Je l'ignorais. Jeunes, oui, mais la jeunesse fait-elle la beauté ? Nous avions dix-sept ans, nous étions insouciantes. Nous ne le restâmes pas. Je l'ignorais encore, mais mon cœur de jeune fille aurait cet été-là à surmonter la jalousie et la déception d'un étrange amour en même temps que la fin d'une amitié.

Les vacances passèrent en promenade dans les rues animées de la ville, en balade en bateau dans la rade, en excursion au sommet du Mont Faron, aller à pied, retour en téléphérique. Et puis une plage, à Hyères, près de laquelle un bus nous déposa. Une plage de galets, une plage de sable. Je nageais mal, mais suffisamment pour profiter de l'eau calme d'un bleu profond. Anna et moi étendions des nattes de jonc sur le sable, nous nous déshabillions en hâte, jetions nos vêtements en vrac dans un grand sac et courions vers la mer.
La première arrivée a gagné ! cria Anna
Gagné quoi ? demandai-je.
Ça, répondit-elle.
Anna avait posé ses lèvres sur ma nuque. Ce bisou n'avait pas la suavité d'un baiser d'amante, mais il me fit à nouveau penser à Isa et à son récit d'amour féminin. Cette histoire me troublait...

Je cherchais la compagnie d'Isa chaque soir un peu plus. Celle-ci me laissait l'approcher. Je pris ainsi de plus en plus de libertés, je m'enhardis à lui caresser les cheveux sous prétexte de remettre une mèche en place, je la pris par la taille pour esquisser quelques pas de danse, car elle venait d'allumer la radio sur un rythme entraînant. Anna se tenait à l'écart lorsque Isa était là. Elle prenait un livre et s'enfonçait dans un sofa. Pleines d'entrain, nous nous racontions, Isa et moi, mille petites choses amusantes. Anna soulevait parfois les yeux de son livre, haussait les sourcils et replongeait dans sa lecture. Je n'avais pas compris que mon amie était jalouse de cette intimité, que le récit d'Isa avait chez elle aussi allumé un brasier et que j'étais l'objet de cette convoitise muette et en partie résignée. Anna souffrait et, ignorante des choses du cœurmais qu'apprend-on à ce propos dans le cours de sa vie ?, je ne le compris pas.

La fin de la première semaine arrivait et Isa nous proposa une sortie en mer, sur le bateau d'un ami. Nous nous approcherions des côtes de Porquerolles. Je sautai de joie à l'idée de prendre le bateau. Surtout avec elle. L'ami ? Je l'ignorai. Il dirigerait le bateau, nous laissant, Anna, Isa et moi, profiter ensemble du soleil sur le pont.
Le bateau de plaisance nous attendait à quai, samedi matin. Greg, l'ami d'Isa, nous aida à monter à bord et nous souhaita la bienvenue. Je vis d'un mauvais œil la familiarité de Greg à l'égard de la tante d'Anna, sa main placée à sa tailleque je prenais pour une volonté de marquer une appartenance. Notre excursion commença mal pour moi, sans Isa, restée à la barre. Elle riait avec Greg et cela m'agaçait.
Pouquoi cette irritation ? Parce que j'étais jalouse ! Je découvris avec stupeur que cet aiguillon qui cherchait à vriller mon coeur était ni plus ni moins que de la jalousie. Je souhaitais la présence d'Isa, son regard sur moi, les paroles qu'elle n'adresserait qu'à moi...
À l'arrière du bateau, Anna, allongée sur le ventre, me demanda si j'acceptais d'enduire son dos de crème solaire. Je m'exécutais, mécaniquement, assez mollement. Ce fut alors qu'Isa arriva, me prit le flacon des mains en me disant : « à ton tour, jeune fille ! » Je m'allongeai sur le ventre et la laissai me badigeonner. Ses mains, douces, parcouraient mon dos d'amples mouvements. Elle défit au passage l'agrafe du soutien-gorge.
Quand on a des seins menus, fermes et aussi jolis que les tiens, à quoi bon les garder enfermés dans un maillot ? Libère ta poitrine !
La tête sur le côté, les yeux clos, je n'en menais pas large. Je sentais mes seins se durcir, je sentais une chaleur envahir mon corps, irradier mon sexe. Les mains d'Isa caressèrent mes cuisses et cette partie charnue de la fesse que le maillot ne couvrait pas.
Retourne-toi, m'intima-t-elle.
Je ne pouvais plus feindre ; mes joues étaient rouges ; mes poumons se gonflaient d'air comme s'il s'agissait de ma dernière inspiration, comme si j'allais me noyer. Je me retournai, les yeux chavirés de doute, d'espoir et de crainte d'être déçue. Mais le sourire d'Isa m'accueillit à nouveau et je lui souris également. Isa appliqua alors la crème solaire sur mon corps en émoi. La crème solaire, quel prétexte ! Elle et moi savions en l'instant qu'elle me désirait comme je le désirais. Ses mains câlines soulignaient la forme ronde de mes seins, étiraient mes tétons ; je frissonnais, je me tordais langoureusement, je criais mon impatience en un râle muet. Et son regard jamais ne me quitta.
Cet instant magique fut interrompu par Greg, qui nous désigna l'île. Déjà ! Nous nous y arrêterions. Isa s'était redressée. Elle partit à la recherche de son cabas de plage. Je me tournai alors vers Anna. Qui pleurait.
Que se passe-t-il, Anna ? Tu pleures ? Pourquoi ?
Anna ne me répondit pas et je ne cherchai pas à en comprendre le motif, toute à mon bonheur égoïste.

Arrivés à terre, nous nous séparâmes un moment. Je dis que je souhaitais envoyer une carte postale à mes parents auxquels je n'avais pas donné de nouvelles depuis mon arrivée à Toulon. Je devais rejoindre Isa, Anna et Greg sur la plage voisine sitôt la tâche effectuée et j'espérais par ce stratagème qui me permettait de rester quelques minutes en retrait que nous pourrions, Isa et moi, nous isoler facilement par la suite.
Ce fut le cœur battant que j'arpentai le chemin caillouteux qui menait à ce rendez-vous tacite. Rien ne se passa néanmoins comme escompté. J'allai, joyeuse, droit vers la plus vive des déceptions.
Je voulus raccourcir le trajet et traversai la pinède. Quelle idée me prit ! À l'écart du chemin, contre un tronc couché à terre, je vis Anna et Isa dans une position sans équivoque. Anna était assise par terre, le dos calé contre le tronc, les jambes grandes écartées. Isa à ses pieds la doigtait et lui léchait la vulve. Des larmes coulaient le long du visage d'Anna alors même que ses yeux, révulsés, fuyaient dans un regard extatique. Entre ses cuisses, Isa, dont l'image remuerait encore mon âme vingt ans plus tard, chatouillait le con gras de sa nièce. Sous les poils frisés, la peau de ses lèvres était épaisse comme du lard : ce fut l'idée qui me traversa l'esprit tant le dégoût me submergeait. Une truie, immonde, à la chair rose, voilà ce qu'elle était ! Une salope qui se troussait dans un coin pour qu'on vienne l'empaler. Une manipulatrice. Une vicieuse. Sale truie ! Son clitoris pointé comme une verge d'homme, un bout de viande assaisonné de salive. J'aurais aimé qu'Isa y plantât ses incisives, mît en sang et déchirât en lambeaux le sexe de la traîtresse. Au lieu de cela, je la vis l'emboucher, l'embrasser à pleines lèvres, lui murmurer qu'elle était belle, qu'elle aimait la toucher, la sentir, et goûter le nectar qui s'écoulait de son sexe. Isa suçait, aspirait, lapait. Deux salopes en chaleur, voilà ce qu'elles étaient ! Et moi qui découvrais leur vilenie. Mais diable, Isa ! Pourquoi Isa ? Je songeai à ses caresses lascives sur le bateau, à nos cœurs et nos corps à l'unisson, à notre promesse muette. Pourquoi avoir rompu mes espérances ? J'étais brisée.
Je ne pus en voir davantage, je rebroussai chemin, courus aussi vite que possible jusqu'au bateau. Greg s'y trouvait, contrairement à son projet de se joindre à nous sur la plage. J'étais en pleurs. Il me tendit un mouchoir. Je pris sa main et la posai sur ma poitrine secouée de sanglots. Je lui dis « je te veux, prends-moi. » Il ne lui en fallut pas davantage. La cabine était étroite, il me porta comme il aurait porté un blessé, m'allongea, descendit le bas de mon maillot, sortit son pénis déjà roide, enfonça un doigt dans mon con et l'y tourna un peu en guise de préliminaire, puis perfora mon hymen d'une poussée franche. La douleur n'était rien comparée à celle que j'avais ressentie en voyant Isa et Anna ensemble, l'une gougnottant l'autre. L'image des deux femmes ne quittait pas mon esprit et c'est à peine si je réalisais ce que j'étais en train de vivre. Greg bougea en moi, d'avant en arrière, suivant le mouvement du bateau bercé par les vagues, jusqu'à éjaculer. Inerte, j'attendis simplement que cela prît fin. Et quand les mouvements s'arrêtèrent, je me relevai. Je saignai un peu. Quelques gouttes s'écrasèrent sur le sol. Greg me prêta un morceau d'éponge afin que je pusse faire une rapide toilette. Cela se fait sans qu'aucun mot ne fût échangé.
Je n'étais donc plus vierge, et cela avait pris dix minutes à peine. C'était en somme une opération aussi bénigne que l'ablation des amygdales.
Le retour à Toulon se fit en silence. Anna et Isa restèrent ensemble sur le pont tandis que je me tins à côté de Greg. Lorsque le bateau eut accosté, Isa nous reconduisit à l'appartement. Pendant le trajet, personne ne pipa mot. La radio allumée meublait le silence. Sitôt arrivée, je prétextai une grande fatigue pour m'isoler dans la chambre. Je mis alors mes vêtements dans mon sac de voyage, griffonnai un mot pour signaler mon départ et sortit discrètement dans la rue. Un bus me conduisit à la gare, je rentrai chez mes parents par le premier train, l'âme vide, les yeux secs.
En septembre, au lycée, j'évitai soigneusement Anna, tout comme elle m'évita. Et je n'entendis plus jamais parler de la belle Isa grâce à laquelle j'avais su que je pouvais désirer une femme...

Un dimanche matin d'avril, dans le lit à côté de mon homme. J'avais cessé la gâterie entreprise quelques minutes plus tôt. Maxence n'avait pas compris ce revirement et me fixait, inquiet.
Tu es sûre que ça va ?
J'étais loin, tu sais. Je pensais à ma jeunesse... Je pensais... tu sais que je n'ai jamais léché le sexe d'une femme ?
Et ?
J'aimerais le faire, au moins une fois. J'en ai eu envie si fort, il y a longtemps. Les enfants ne sont pas en ce moment, alors... si nous allions dans un club, ce soir ?