Isa, été 93

Petit texte publié initialement aux éditions L'ivre-book, Isa, été 93 n'a guère été lu. Il n'a rien d'extraordinaire, à vrai dire, et j'avoue que le procédé d'écriture où je narre un "souvenir" entre deux passages "contemporains" me semble particulièrement éculé... Comme les éditions L'ivre-book ferment leurs portes, je vous le propose cependant ici.


J'étais recroquevillée en boule entre ses jambes, les mains placées à plat de chaque côté de l'aine. J'adoptais en somme cette position du chat que ma prof de yoga préconisait pour assouplir le dos. Et je ronronnais ainsi contre la chaleur de ses cuisses, la langue sortie pour sucer ses bourses blanches. La chair pigmentée de sa peau tendre, sa verge mi-molle... Quelques coups de langue appuyés plus tard, je sentis le durcissement de son membre.
En avril, l'air était encore frais ; nous étions si bien sous les draps, alors que les grands-parents avaient pris les enfants en vacances, et que le dimanche était enfin synonyme de glandouille et de baise matinale. Je léchais sa verge avec minutie, en de longs lapements appliqués. Je pensai, en caressant du bout de la langue l'extrémité douce de son gland, que jamais je n'aurai léché la fente d'une femme, que jamais je n'aurai aventuré les lèvres à l'entrée d'un jardin parfumé.
J'en avais été proche, pourtant. Si près, cet été-là, mes sens furent embrasés puis éteints, si vite éteints hélas, que j'en gardai longtemps un goût de cendre dans la bouche.

Plein été, dans le Var. La tante d'Anna vivait sur les hauteurs de Toulon, dans un appartement étroit. Anna était une copine de lycée. Comme elle ne souhaitait pas partir seule, et rester seule surtout pendant que sa tante travaillait, elle m'avait proposé de l'accompagner pendant deux semaines de vacances.
Je n'aurais jamais imaginé sa tante telle que je la découvris à la gare, nous saluant d'un grand signe de la main. Menue, vive, la peau bronzée, les cheveux courts, elle portait des tongs jaunes et une jupe évasée si courte qu'elle dévoilait ses cuisses à chaque mouvement de hanches. Son dynamisme, la discussion tout de suite entamée, ses sourires, tout m'intimidait et me charmait. Je l'écoutais, un peu gauche avec mon sac de voyage à l'épaule. J'étais une adolescente timide, malhabile de ses mains et maladroite surtout à cause du corps que je traînais. Un corps qui avait changé si soudainement que je ne m'étais pas encore adaptée à ses nouvelles formes ni aux regards que ces dernières commençaient à susciter.
Plein été, il faisait chaud, il faisait soif. Isa, la tante d'Anna, nous conduisit directement chez elle une température agréable était maintenue grâce aux volets fermés. La douce pénombre fut propice aux propos badins, aux confidences et aux rires étouffés. Isa était si jeune, bien plus que la mère d'Anna à laquelle elle ressemblait peu. Autour d'un grand thé glacé, nous devînmes amies. Pas de ces amitiés durables sans doute, mais de celles qui naissent de la complicité de l'instant.
Isa évoqua devant nous ses propres vacances lorsqu'elle était adolescente, les garçons au café, le baby-foot auquel elle feignait de s'intéresser afin d'effleurer ce gars aux yeux noirs, un premier baiser échangé là, sur le même baby-foot sur lequel elle s'était assise. Et cet été en colonie, sous une toile de tente, le babillage jusque tard dans la nuit. Elle s'appelait Myriam et portait une natte qu'elle tressait habillement chaque matin. Un soir, Myriam s'était collée à elle... C'était un contact si intense... Leurs mains firent le reste, les attouchements, les caresses.
C'était donc cela, faire l'amour avec une femme...
Isa était partie loin dans ses souvenirs, le regard vague. Sa voix s'était altérée au point de finir dans un souffle. Malgré la chaleur, j'avais la chair de poule. Qu'en était-il de mes propres expériences ? Un rapide baiser une langue flasque s'était frottée contre la mienne. Il s'appelait Jean-Baptiste ; c'était deux ans plus tôt : une promenade main dans la main et le lendemain je recevais une ligne griffonnée sur un papier à gros carreaux. Terminé, t'es trop nulle. Je n'avais jamais compris ce qui s'était passé. Rien ni personne depuis cet échec. Je ne m'y risquerais plus, pensai-je alors. Pourtant, lors de l'évocation de ces contacts tendres avec sa jeune amie Myriam, j'étais suspendue aux lèvres d'Isa, avais retenu ma respiration et un chatouillement inconnu m'avait parcourue.
Après une courte promenade pour nous familiariser avec les rues adjacentes, plan en main, nous retournâmes, Anna et moi, dans l'appartement nous attendait Isa. Le dîner fut jovial. Isa cuisina une poêlée de légumes du marché.
Il faudra vous y habituer, les filles, je suis végétarienne. Et j'espère que vous n'avez rien contre le pain complet, car c'est le seul que je mange, nous dit-elle en pointant du doigt la panière.
Anna esquissa une grimace dans le dos de sa tante, ce qui me fit sourire. Pour ma part, je m'en fichais un peu. J'étais en vacances, prête à découvrir tout ce qui se présenterait, plats végétariens, pain complet s'il le fallait, tout, que cela soit alimentaire ou... Je rougis subitement, imaginant Isa collée à mon corps. Je toussai, feignant d'avaler de travers un morceau de poivron. Lorsque je levai les yeux, Isa me souriait. Sa peau bronzée faisait paraître ses dents d'une éclatante blancheur. Elle était divinement belle. J'aurais aimé lui ressembler.

Anna et moi partageâmes le temps de nos vacances une petite chambre meublée d'un lit double et d'un portant. Les murs étaient blancs et des rideaux roses apportaient une touche de couleur délicate. Nous étions fatiguées. Cette première nuit, nous dormîmes d'une traite jusque tard. À notre lever, Isa était déjà partie travailler, nous laissant un mot sur la table de la cuisine : « Il y a des fruits dans le tiroir du frigo, vous trouverez aussi des légumes, des yaourts... Servez-vous ! Je serai de retour vers 17 heures. Ciao, belle ragazze ! »
Isa avait ponctué ce message d'une trace de rouge à lèvres que j'effleurai, songeuse, de mon index.
Belle ! Tu nous trouves belles, toutes les deux ? demanda Anna, m'entraînant vers un miroir.
Dans ce reflet, deux filles, nous. Belles ? Je l'ignorais. Jeunes, oui, mais la jeunesse fait-elle la beauté ? Nous avions dix-sept ans, nous étions insouciantes. Nous ne le restâmes pas. Je l'ignorais encore, mais mon cœur de jeune fille aurait cet été-là à surmonter la jalousie et la déception d'un étrange amour en même temps que la fin d'une amitié.

Les vacances passèrent en promenade dans les rues animées de la ville, en balade en bateau dans la rade, en excursion au sommet du Mont Faron, aller à pied, retour en téléphérique. Et puis une plage, à Hyères, près de laquelle un bus nous déposa. Une plage de galets, une plage de sable. Je nageais mal, mais suffisamment pour profiter de l'eau calme d'un bleu profond. Anna et moi étendions des nattes de jonc sur le sable, nous nous déshabillions en hâte, jetions nos vêtements en vrac dans un grand sac et courions vers la mer.
La première arrivée a gagné ! cria Anna
Gagné quoi ? demandai-je.
Ça, répondit-elle.
Anna avait posé ses lèvres sur ma nuque. Ce bisou n'avait pas la suavité d'un baiser d'amante, mais il me fit à nouveau penser à Isa et à son récit d'amour féminin. Cette histoire me troublait...

Je cherchais la compagnie d'Isa chaque soir un peu plus. Celle-ci me laissait l'approcher. Je pris ainsi de plus en plus de libertés, je m'enhardis à lui caresser les cheveux sous prétexte de remettre une mèche en place, je la pris par la taille pour esquisser quelques pas de danse, car elle venait d'allumer la radio sur un rythme entraînant. Anna se tenait à l'écart lorsque Isa était là. Elle prenait un livre et s'enfonçait dans un sofa. Pleines d'entrain, nous nous racontions, Isa et moi, mille petites choses amusantes. Anna soulevait parfois les yeux de son livre, haussait les sourcils et replongeait dans sa lecture. Je n'avais pas compris que mon amie était jalouse de cette intimité, que le récit d'Isa avait chez elle aussi allumé un brasier et que j'étais l'objet de cette convoitise muette et en partie résignée. Anna souffrait et, ignorante des choses du cœurmais qu'apprend-on à ce propos dans le cours de sa vie ?, je ne le compris pas.

La fin de la première semaine arrivait et Isa nous proposa une sortie en mer, sur le bateau d'un ami. Nous nous approcherions des côtes de Porquerolles. Je sautai de joie à l'idée de prendre le bateau. Surtout avec elle. L'ami ? Je l'ignorai. Il dirigerait le bateau, nous laissant, Anna, Isa et moi, profiter ensemble du soleil sur le pont.
Le bateau de plaisance nous attendait à quai, samedi matin. Greg, l'ami d'Isa, nous aida à monter à bord et nous souhaita la bienvenue. Je vis d'un mauvais œil la familiarité de Greg à l'égard de la tante d'Anna, sa main placée à sa tailleque je prenais pour une volonté de marquer une appartenance. Notre excursion commença mal pour moi, sans Isa, restée à la barre. Elle riait avec Greg et cela m'agaçait.
Pouquoi cette irritation ? Parce que j'étais jalouse ! Je découvris avec stupeur que cet aiguillon qui cherchait à vriller mon coeur était ni plus ni moins que de la jalousie. Je souhaitais la présence d'Isa, son regard sur moi, les paroles qu'elle n'adresserait qu'à moi...
À l'arrière du bateau, Anna, allongée sur le ventre, me demanda si j'acceptais d'enduire son dos de crème solaire. Je m'exécutais, mécaniquement, assez mollement. Ce fut alors qu'Isa arriva, me prit le flacon des mains en me disant : « à ton tour, jeune fille ! » Je m'allongeai sur le ventre et la laissai me badigeonner. Ses mains, douces, parcouraient mon dos d'amples mouvements. Elle défit au passage l'agrafe du soutien-gorge.
Quand on a des seins menus, fermes et aussi jolis que les tiens, à quoi bon les garder enfermés dans un maillot ? Libère ta poitrine !
La tête sur le côté, les yeux clos, je n'en menais pas large. Je sentais mes seins se durcir, je sentais une chaleur envahir mon corps, irradier mon sexe. Les mains d'Isa caressèrent mes cuisses et cette partie charnue de la fesse que le maillot ne couvrait pas.
Retourne-toi, m'intima-t-elle.
Je ne pouvais plus feindre ; mes joues étaient rouges ; mes poumons se gonflaient d'air comme s'il s'agissait de ma dernière inspiration, comme si j'allais me noyer. Je me retournai, les yeux chavirés de doute, d'espoir et de crainte d'être déçue. Mais le sourire d'Isa m'accueillit à nouveau et je lui souris également. Isa appliqua alors la crème solaire sur mon corps en émoi. La crème solaire, quel prétexte ! Elle et moi savions en l'instant qu'elle me désirait comme je le désirais. Ses mains câlines soulignaient la forme ronde de mes seins, étiraient mes tétons ; je frissonnais, je me tordais langoureusement, je criais mon impatience en un râle muet. Et son regard jamais ne me quitta.
Cet instant magique fut interrompu par Greg, qui nous désigna l'île. Déjà ! Nous nous y arrêterions. Isa s'était redressée. Elle partit à la recherche de son cabas de plage. Je me tournai alors vers Anna. Qui pleurait.
Que se passe-t-il, Anna ? Tu pleures ? Pourquoi ?
Anna ne me répondit pas et je ne cherchai pas à en comprendre le motif, toute à mon bonheur égoïste.

Arrivés à terre, nous nous séparâmes un moment. Je dis que je souhaitais envoyer une carte postale à mes parents auxquels je n'avais pas donné de nouvelles depuis mon arrivée à Toulon. Je devais rejoindre Isa, Anna et Greg sur la plage voisine sitôt la tâche effectuée et j'espérais par ce stratagème qui me permettait de rester quelques minutes en retrait que nous pourrions, Isa et moi, nous isoler facilement par la suite.
Ce fut le cœur battant que j'arpentai le chemin caillouteux qui menait à ce rendez-vous tacite. Rien ne se passa néanmoins comme escompté. J'allai, joyeuse, droit vers la plus vive des déceptions.
Je voulus raccourcir le trajet et traversai la pinède. Quelle idée me prit ! À l'écart du chemin, contre un tronc couché à terre, je vis Anna et Isa dans une position sans équivoque. Anna était assise par terre, le dos calé contre le tronc, les jambes grandes écartées. Isa à ses pieds la doigtait et lui léchait la vulve. Des larmes coulaient le long du visage d'Anna alors même que ses yeux, révulsés, fuyaient dans un regard extatique. Entre ses cuisses, Isa, dont l'image remuerait encore mon âme vingt ans plus tard, chatouillait le con gras de sa nièce. Sous les poils frisés, la peau de ses lèvres était épaisse comme du lard : ce fut l'idée qui me traversa l'esprit tant le dégoût me submergeait. Une truie, immonde, à la chair rose, voilà ce qu'elle était ! Une salope qui se troussait dans un coin pour qu'on vienne l'empaler. Une manipulatrice. Une vicieuse. Sale truie ! Son clitoris pointé comme une verge d'homme, un bout de viande assaisonné de salive. J'aurais aimé qu'Isa y plantât ses incisives, mît en sang et déchirât en lambeaux le sexe de la traîtresse. Au lieu de cela, je la vis l'emboucher, l'embrasser à pleines lèvres, lui murmurer qu'elle était belle, qu'elle aimait la toucher, la sentir, et goûter le nectar qui s'écoulait de son sexe. Isa suçait, aspirait, lapait. Deux salopes en chaleur, voilà ce qu'elles étaient ! Et moi qui découvrais leur vilenie. Mais diable, Isa ! Pourquoi Isa ? Je songeai à ses caresses lascives sur le bateau, à nos cœurs et nos corps à l'unisson, à notre promesse muette. Pourquoi avoir rompu mes espérances ? J'étais brisée.
Je ne pus en voir davantage, je rebroussai chemin, courus aussi vite que possible jusqu'au bateau. Greg s'y trouvait, contrairement à son projet de se joindre à nous sur la plage. J'étais en pleurs. Il me tendit un mouchoir. Je pris sa main et la posai sur ma poitrine secouée de sanglots. Je lui dis « je te veux, prends-moi. » Il ne lui en fallut pas davantage. La cabine était étroite, il me porta comme il aurait porté un blessé, m'allongea, descendit le bas de mon maillot, sortit son pénis déjà roide, enfonça un doigt dans mon con et l'y tourna un peu en guise de préliminaire, puis perfora mon hymen d'une poussée franche. La douleur n'était rien comparée à celle que j'avais ressentie en voyant Isa et Anna ensemble, l'une gougnottant l'autre. L'image des deux femmes ne quittait pas mon esprit et c'est à peine si je réalisais ce que j'étais en train de vivre. Greg bougea en moi, d'avant en arrière, suivant le mouvement du bateau bercé par les vagues, jusqu'à éjaculer. Inerte, j'attendis simplement que cela prît fin. Et quand les mouvements s'arrêtèrent, je me relevai. Je saignai un peu. Quelques gouttes s'écrasèrent sur le sol. Greg me prêta un morceau d'éponge afin que je pusse faire une rapide toilette. Cela se fait sans qu'aucun mot ne fût échangé.
Je n'étais donc plus vierge, et cela avait pris dix minutes à peine. C'était en somme une opération aussi bénigne que l'ablation des amygdales.
Le retour à Toulon se fit en silence. Anna et Isa restèrent ensemble sur le pont tandis que je me tins à côté de Greg. Lorsque le bateau eut accosté, Isa nous reconduisit à l'appartement. Pendant le trajet, personne ne pipa mot. La radio allumée meublait le silence. Sitôt arrivée, je prétextai une grande fatigue pour m'isoler dans la chambre. Je mis alors mes vêtements dans mon sac de voyage, griffonnai un mot pour signaler mon départ et sortit discrètement dans la rue. Un bus me conduisit à la gare, je rentrai chez mes parents par le premier train, l'âme vide, les yeux secs.
En septembre, au lycée, j'évitai soigneusement Anna, tout comme elle m'évita. Et je n'entendis plus jamais parler de la belle Isa grâce à laquelle j'avais su que je pouvais désirer une femme...

Un dimanche matin d'avril, dans le lit à côté de mon homme. J'avais cessé la gâterie entreprise quelques minutes plus tôt. Maxence n'avait pas compris ce revirement et me fixait, inquiet.
Tu es sûre que ça va ?
J'étais loin, tu sais. Je pensais à ma jeunesse... Je pensais... tu sais que je n'ai jamais léché le sexe d'une femme ?
Et ?
J'aimerais le faire, au moins une fois. J'en ai eu envie si fort, il y a longtemps. Les enfants ne sont pas en ce moment, alors... si nous allions dans un club, ce soir ?