Sodomie

Désolée pour le titre racoleur, mais c'est son vrai titre, et puis comme il n'est réellement question que de sodomie, je vois mal comment j'aurais pu l'intituler. L’œil du Cyclope peut-être ?
Sodomie est un texte que j'avais écrit pour un appel à textes sur le thème de la sodomie (évidemment) de La Musardine. C'était il y a plusieurs années. Sauf que le thème a semble-t-il été mis de côté -, ad vitam æternam ? De toute manière, vu ce que j'ai écrit, il n'aurait sans doute pas été sélectionné. En tout cas, le voici :

Le terme de sodomie n'avait longtemps éveillé en moi qu'un souvenir de lecture biblique : Sodome, la ville dont Dieu a voulu la destruction, pour punir ses habitants de leur mauvaiseté.
Où sont les hommes qui sont venus chez toi cette nuit ?
Fais-les sortir vers nous pour que nous les connaissions.
Les Sodomites étaient alors prêts à en découdre avec les deux anges au corps d'homme, à les enculer dare-dare : leur façon sans doute de leur souhaiter la bienvenue dans la ville. Un bizutage en quelque sorte. Une claque dans le dos, et poke !, pour leur signifier qu'ils étaient des leurs s'ils se laissaient visiter le petit trou.
Et que fit ce détestable Loth, en voulant sauver les angéliques orifices ? Il proposa de jeter ses deux filles en pâture à la foule. Vaut-il mieux violer deux filles vierges qu'enculer deux anges ? Dieu ne permit ni l'un ni l'autre, heureusement pour la morale, mais ferma les yeux sur l'inceste qui suivit. Cela est une autre histoire...

Le langage biblique a ceci de fascinant que l'on n'y baise jamais, mais que l'on « connaît » autrui. Et connaître ne signifie pas nécessairement, de même qu'en ces versets de la Genèse, embrocher du côté procréatif.

Le terme de sodomie n'avait longtemps été attaché pour moi qu'à des pratiques antiques. Dans la Bible, tout d'abord. Chez les Grecs ensuite, où l'on pouvait aller se faire foutre ou se faire socratiser, surtout quand on était un jeune mignon à son étude auprès d'un maître plus âgé, qui dispensait ses leçons dans des mouvements de va-et-vient, comme si le savoir passait par le cul, comme si l'anus était relié au cerveau dans un surprenant raccourci. Et même chez les Romains, pourvu que l'homme libre soit actif et l'esclave passif, l'ordre du monde s'équilibrant dans cette distinction du qui sodomise qui.

De sorte que, lorsqu'il me dit qu'il voulait que je fisse la fête à sa rosette, je perdis pied. Ce n'étaient évidemment pas les mots qu'il avait employés... En réalité, il fut bien plus prudent.

***

Notre première conversation à ce sujet prit le tour badin de jeux de mots.

Allongé sur le ventre, mon mari abandonnait son cul replet aux caresses de mes mains. Je soupesais chaque fesse, enroulais ses longs poils noirs autour de mon petit doigt, gratouillais au passage sa peau laiteuse, la raclant de mon ongle verni. Mes fines griffures le faisaient frissonner. Il en voulut davantage et me dit qu'à défaut de faire de mon auriculaire un doigt pour l'oreille je pourrais en faire un doigt pour son cul.
C'est le doigt pour les petits creux, il est fait pour ça ! Pourquoi crois-tu qu'on l'a nommé « auriculaire » ? Par bienséance uniquement ! L'oreille, l'œil ou l'anus ! Trois mots pour désigner le même conduit à l'extrémité ronde. Si tu te mets le doigt dedans, ne pense pas en devenir aveugle pour autant ! L'œil, l'œillet, c'est bien au milieu du cul qu'il se trouve. Ou alors imagine mes fesses comme le visage du Cyclope ! C'est cet œil-là qu'il faut atteindre ! Le mille de la cible ! Branle-moi le petit trou, et que débute une épopée !

Il me parlait du Cyclope... Mon pervers de mari me ramenait à l'Antiquité, puisque tel était mon repère en matière d'enculage et qu'il n'était pas sans l'ignorer. Lui branler le cul, on aurait quand même tout vu, tout entendu !
Qu'est-ce qui te rebute dans cette pratique ? Puisque je suis consentant, puisque mon anus t'appelle ? Le vois-tu s'arrondir, bouche en cœur, comme celle des angelots chantant un cantique à la Noël ? Ma proposition te semble si surprenante que tu voudrais la coucher dans tes annales ?
Dans les miennes ou dans les tiennes ? Je croyais que c'était toi qui voulais te mettre à nu... ou te faire mettre l'anus. Alors, dis-moi, qu'est-ce qu'il te prend aujourd'hui ? Il t'est poussé un micropénis à cet endroit ? Tu t'hermaphrodises, une verge côté pile, un clitoris côté face ? Pourquoi vouloir te faire foutre par ce conduit ?
Foutre, foutre, comme tu y vas ! Comme si ton doigt pouvait décharger !

Ce jour-là, nous nous contentâmes d'une joute verbale...

Avant d'accéder à sa demande, je pris mon temps. Sans qu'il m'en parlât, j'y pensais néanmoins sans cesse. Les jours s'enchaînaient en enfilade... à la queue leu leu !
Toute image de la vie courante devenait ainsi pornographique, me ramenait à son envie de sentir se blottir dans son nichoir un petit zoziau. Un doigt pour commencer m'avait-il dit. Ensuite... j'imaginais à quelles turpitudes nous arriverions. Son trou noir était un gouffre dans lequel je perdais mes repères.

***

Trois ans plus tôt, la première expérience avec lui. Non comme enculeuse, mais comme enculée. Les draps étaient chiffonnés, la couverture en boule, des pans de tissu tombaient d'un côté. Il restait les oreillers pour nos têtes et de la place en travers du lit. Je m'étais placée au-dessus de lui. Je « faisais le chat », comme je nommais alors ce lent mouvement où de tout mon long je me frottais à son corps. Mon sexe moite répandait ma mouille de ses cuisses à son torse. Je l'avais si bien badigeonné que sa peau luisait sous l'éclat de la lumière artificielle. Il était si beau, mon homme, dans cet abandon à mes caresses ! Cela clignotait dans mes yeux comme dans une chanson des Beatles : Love love love. C'est ce qu'affichait mon regard, ce qu'affichait mon visage qui rayonnait de bonheur, et mon corps aussi enduit de cyprine que le sien.

Il existe des poussées euphoriques qui viennent des tripes, des élans incontrôlables où l'on aspire l'air comme s'il s'agissait d'une dernière bouffée, où la vie pourrait cesser en l'instant sans regret. C'est ce que je vécus alors. L'acmé était atteinte, le rideau pouvait tomber : je ne m'en souciais plus, j'avais mon amour en moi et partout autour de moi, comme une aura qui nous enveloppait, un bouclier contre le monde, contre mes doutes et mes angoisses. Je fondais, corps et âme, toujours plus liquide, plus glissante, et si je me noyais, ce serait avec lui, le tenant par la queue, l'enserrant au plus profond de moi, au plus étroit.

Je me positionnai soigneusement, appuyai son pieu dressé au niveau de ma timide rosace. Plus de pudeur de pucelle ; plus de peur. Je lui offris ce qu'il m'avait demandé plusieurs mois auparavant et que je lui avais refusé d'une grimace, sachant par expérience – malheureuse, cette expérience ! - la brûlure des chairs, l'élargissement forcé jusqu'au sang, l'acte vil qui provoquait la suffocation, le refus de l'abject. Mais le contexte n'était plus le même. On ne demande pas à froid (ni à sec!) d'accepter une sodomie. Celle-ci s'offre dans l'action, dans un battement de cœur. La pratique resta ainsi pour moi un exceptionnel témoignage d'amour.

Il le fut, en tout cas, ce jour-là. J'enfonçai son sexe bandé en moi, très lentement, par stade, par stèle, pour me laisser reprendre souffle, pour attendre que la douleur s'estompât. Celle-ci, calmée dans mon antre serré, renaissait quelques millimètres plus loin, autre étape du chemin de croix. J'étais une pénitente empalée par amour, jambes pliées derrière moi, à genoux sur sa verge dure. Lorsque cette dernière fut tout entière en moi, lorsque la brûlure s'apaisa au point de disparaître, j'entrepris un lent mouvement de coulisse de haut en bas, de bas en haut. Je le limai avec son outil, contrôlant la vitesse et la profondeur de l'intromission. Dans un oui extatique, un oui que je répétais inlassablement, je sentis fuser son sperme dans mon conduit. Il gicla, je fus remplie de foutre. Mon cul ne pouvait en contenir tant. Sa verge molle s'extirpa d'elle-même, gît sur le côté et moi, encore au-dessus de lui, je laissai goutter le jus visqueux qui collait les poils de son torse.

***

L'idée de l'enculer m'obsédait. Des rêves étranges peuplaient mes nuits. J'étais dans une salle obscure et regardais un innocent écran. Des images de cartoon défilaient. Puis les métaphores visuelles de l'enculage se mettaient à danser devant mes yeux : un coucou suisse avalait sa petite bête à plume, sosie de Woody woodpecker, puis un matou langue tirée, dans un mouvement de tapis roulant, engosillait un malheureux titi, le siphon d'une baignoire attirait en cercles concentriques un bateau au mât phallique, à moins que ce ne fût un soldat de plomb si raide dans son costume d'apparat. Tout le monde le fait, pourquoi pas toi ? Ces mots s'affichaient au générique du film. Mon sommeil fut singulièrement agité une semaine durant.

Je ressentais une forme d'attrait et de dégoût mêlés. Comme pour des pratiques horrifiantes, le massacre d'un taureau dans une arène, un autodafé sur une place publique. Je voulais être présente tout en me cachant les yeux et me bouchant les oreilles.
Tenir mon homme au bout de mon doigt, quel pouvoir ! Mais s'enfoncer en lui comme dans de la vase... Un geste de démiurge arrêté dans la fange. Le sublime et le grotesque. Le divin et la merde.

Je lui dis mon appréhension.

Mais mon cul est propre ! Il est savonné. Approche ton nez, hume son odeur ! Vu le gel douche utilisé, ce doit même sentir la vanille ! Je l'ai bichonné, mon petit trou. Observe ma rose délicate et timide. Faites connaissance, toutes les deux, place le bout de ton doigt. Tu sens comme c'est doux, comme c'est agréable ?
Parce que tu connais la texture de ton anus ?
Je n'ai pas attendu que tu veuilles bien participer à certains jeux pour procéder à des essais manuels ou instrumentaux ! Regarde dans mon tiroir à chaussettes, dans la petite boîte en carton située complètement au fond.
Dans la boîte, entre deux feuilles de soie, était glissé un jouet noir, lisse, de forme évasée. Une sorte d'as de pique étiré, un peu maigre.
Voilà, c'est mon plug, me dit-il simplement.
Depuis quand l'avait-il ? Où l'avait-il acheté ?
Il y a trois ans, ma puce, tu te souviens ?
Si je me souvenais !
Eh bien, j'ai voulu me rendre compte par moi-même, ressentir les mêmes sensations physiques. Mais ce n'est qu'un objet que je place en moi. Je peux varier la pratique : me goder avec, enfoncer et retirer, jusqu'à éjaculation, le garder en moi une heure sous mon boxer, vaquer à mes occupations avec le fion bourré à bloc. Cela dit, ce qu'il me manque, comprends-le bien, c'est de savoir que tu sais, c'est de te voir me regarder, c'est ta main qui plante le sexe factice dans mon cul. Ce que souhaite, c'est de te voir un jour munie d'un toy à ceinture : je me placerai à quatre pattes pendant que derrière moi tu me sodomiseras.

***

Le voir se bourrer le cul lui-même. Ce fut la deuxième étape, après ce doigt hésitant avec lequel je palpai l'entrée souple. Cette issue aurait aspiré ma première phalange si je l'avais laissée faire ! Un doigt sur le seuil, une porte qui s'entrouvre...

Quand mon homme plaça le plug en face de son fondement, il fallait plus d'un entrebâillement. Si le sommet de l'objet était plutôt fin, le corps s'élargissait amplement avant le goulot et le pied aplati.
Tu vas vraiment t'enfoncer ça ?
Bien sûr, répondit-il d'un sourire.
Il se tenait à quatre pattes sur le lit sur lequel je m'étais assise, en bordure. Il se donnait en spectacle, je regardais. Il aurait souhaité que je le filmasse, mais c'était au-dessus de mes forces. Ne m'en demande pas trop à la fois ! avais-je répliqué. Le film, oui, j'y penserais sans doute, au cours de mes nuits agitées...

Le bouchon de silicone fut enduit d'un lubrifiant translucide dont on décelait dans l'air une légère odeur. Indéfinissable et évanescente. Puis la lente introduction débuta. Le plug se fit avaler, petit à petit, par l'anus ouvert comme une gueule de boa. J'imaginais un serpent coprophage. Pourquoi un plug noir ? Une assimilation aux fèces ? Pour que les excréments présents dans le rectum puissent adhérer incognito ? Mais le plug toucherait-il le rectum ? Et qu'en était-il en cas de lavement anal ? Sous la douche, la poire avait expulsé son eau sale. Tandis que la pénétration prenait de l'ampleur, je pensais aux salissures. J'en aurais vomi de dégoût. Et pourtant, étrangement fascinée, j'admirais la capacité de cette gueule à ingurgiter la nourriture qu'on lui présentait.

Ce qui est contre-nature n'est pas de pénétrer un orifice plutôt qu'un autre, mais de refléter le schéma de l'appareil digestif dans un miroir pervers. Allait-il arroser les couvertures de foutre après s'être ainsi enculé ? Je guettai l'instant ultime où la jouissance contracterait ses sphincters et où sa verge tendue cracherait sa purée.

***

L'érotisme anal ? Peut-on parler d'érotisme lorsque l'on encule ? La sodomie est dans la transgression, dans le défi jeté au cul serré, col monté, pingre et pincé, au moraliste BCBG qui trouve cela si sale, si abject, si contre-nature. La sodomie est de l'ordre de l'obscène, du mauvais goût, avec son fion tendu, et non de l'érotisme éthéré pour jeune fille de bonne famille...

Il m'interrompit alors que je venais de me harnacher et de ficher un fin godemiché à l'endroit mâle.
Dis, tu ne pourrais pas arrêter de pérorer ? Tu crois que c'est le moment ? Ta tirade me fait débander ! Qu'est-ce qu'on en a à foutre de l'érotisme et de l'obscène chez le sodomite ? Acta non verba ! Je t'attends !
Oh, mille excuses... mais vois-tu, aujourd'hui peu importe si tu bandes ou pas : c'est moi l'être phallique, et mon monologue m'aide à investir mon rôle. C'est du théâtre, clap clap, applaudis car je compte emprunter l'entrée des artistes.

J'avais bien fait les choses. Sur un trépied, aussi noire que la verge qui battait entre mes jambes, une caméra ouvrait l'œil.