Je vous sers à nouveau un vieux texte. À voyeur, voyeur et demi a été publié dans la revue Cohues puis aux éditions L'ivre-book sous la forme d'un eBook téléchargeable gratuitement. Si vous avez une liseuse, je vous conseille donc ce téléchargement. Pour les autres, voici cette petite histoire dans son intégralité.
Le
boulevard était animé le jour, et parfois la nuit. Elle habitait au
cinquième étage. Un platane couvrait une partie de la vue qu'elle
pouvait avoir sur la cohue, les enfilades de voitures, tous ces gens
pressés se démenant pour atteindre leur but le plus rapidement
possible, même lorsqu'ils étaient à pied. Une boulangerie se
tenait au coin de la rue, sa façade était étroite, sa devanture
garnie de choses appétissantes. L'histoire que je vais vous raconter
se déroule à Nancy. Elle,
c'est moi, un peu ou beaucoup...
L'auteur
d'histoires érotiques est-il un pervers en puissance ? Doit-on
voir en chacun un loup qui sommeille, celui qui montrerait sa queue
au sortir d'un ciné louche, dans une rue plongée dans l'obscurité
par la malveillance d'un gamin lanceur de pierres ? Mais il
montre plus que sa queue ! Il montre ses fantasmes, sans bouger
de son bureau, en caressant son clavier, plus hygiénique que la
fente d'une catin. Si quelques touches sont salies, c'est sans doute
que par moments, il ne peut taire l'homme ou la femme derrière
l'écrivain, et qu'il se masturbe sciemment sur son texte. Sentez la
page, humez. Vous y reconnaîtrez peut-être l'odeur aqueuse du filet
clair qui a ruisselé le long de mes cuisses.
Elle
est donc un peu moi, mais je me garde d'écrire le « je »
qui m'engagerait trop, qui vous ferait croire que tout ça est
arrivé, que mon personnage est réel, que vous pourriez le croiser,
qui sait, le long de ce boulevard, en regardant d'un œil gourmand la
vitrine de la boulangerie. À moins que vous ne vous sentiez observés
par une ombre derrière une fenêtre lorsque vous sortirez de la
boutique en croquant dans un croissant, après avoir reluqué la
croupe de la boulangère. Car la sienne est charnue comme je les
aime, comme celle de ma voisine Anne-Laure, je peux vous le garantir,
et vous les apprécieriez certainement l'une et l'autre tout autant
que moi.
Je
vais donc vous narrer ce qu'elle
peut ressentir, imaginer, dans cet appartement d'un vieil immeuble si
mal insonorisé. Écoutez les klaxons. Écoutez les voisins
s'engueuler. Ou bien... que font-ils ? Vous entendez ces
soupirs ? Si vous lisez cette histoire, ne seriez-vous pas
devenus voyeurs, vous aussi ?
Elle
vivait au cinquième étage, dans un appartement où les normes
électriques n'étaient pas respectées, mais que peut-on contre un
propriétaire qui refuse de faire des travaux ? Dans la vie
réelle, rien ou pas grand-chose : on demande, on écrit et,
quand on est une femme, on larmoie pour jouer un personnage de faible
folle qui a besoin d'assistance par crainte de l'électrocution. Dans
un texte érotique, elle aurait usé de ses charmes. C'est ce que
j'ai fait.
***
Monsieur
Romert habitait dans l'immeuble. Mieux, il possédait l'immeuble.
Imbu de sa personne, les épaules larges, les souliers cirés. Le
costume-cravate bien sûr, et (tant pis pour le cliché !),
comme il était notaire, sa cravate ce jour-là devint sa verge entre
les seins d'Hélène (c'est ainsi qu'elle
s'appelle puisque je n'ai pas poussé le vice jusqu'à lui donner mon
prénom). Elle ne pouvait imaginer qu'il pût en être autrement, vu
sa profession. Elle aimait la taquinerie :
monsieur le notaire, ôtez cette cravate, et placez plutôt celle-ci
entre mes seins.
Monsieur
Romert percevait ses loyers chaque premier du mois, sans faute, en
frappant à la porte de ses locataires. Hélène le reçut en
nuisette transparente sous un peignoir de satin noir qui couvrait ce
qu'il convenait de cacher pour exciter davantage. Elle faisait mine
de ne pas montrer ce que le notaire pourrait apercevoir de manière
fortuite, s'il s'attardait plus que nécessaire dans l'appartement de
sa locataire. S'il portait plus qu'il ne fallait les yeux sur le
corps mi-dévoilé. S'il se trouvait en position de faiblesse.
Car
c'est une faiblesse pour les hommes que leur queue bourgeonnante à
la vue de la peau laiteuse entre deux seins. Bref, il bandait, le
salaud, les yeux sur la profonde échancrure du peignoir qu'Hélène
maintenait négligemment entrebâillé. Les yeux tout d'abord, puis
les mains et la verge bientôt, car Hélène avait de prodigieux
atouts qu'il convenait d'admirer de près, d'autant plus que Monsieur
Romert était myope, et qu'il aurait été fort dommage de négliger
lesdits appâts. Le sexe roide glissa prestement entre les globes
qu'elle pressait entre ses paumes. Ce fut un cocon étroit pour ce
ver rapidement luisant de sperme. Hélène étala sur ses seins le
foutre onctueux, s'en massa délicatement les tétons et demanda à
son propriétaire de déguster sur elle le fruit de son forfait.
Monsieur Romert ne se fit pas prier, il lécha en tirant grand la
langue, ravi de son aubaine et surpris de l'audacieuse perversité de
sa locataire. Il commanderait à l'électricien de venir la semaine
suivante. Il allégea aussi le loyer d'Hélène : une petite
gratification qu'il accorda à sa gentille locataire lorsqu'il
constata que son index pouvait louvoyer dans son con si chaud. Ce qui
était possible à la proue le serait-il à la poupe ? Le cul
offrirait d'autres délices. Il suffirait de savoir aborder le
rivage... et d'ancrer fermement. Il promit de revenir avant le mois
suivant, car il se souciait de la qualité des travaux réalisés,
bien entendu.
Hélène
vivait seule et n'avait pas de petit
ami.
Elle compensait l'absence de sexe avec un officiel par différents
modes opératoires. Dont la masturbation, qui tenait un rôle phare.
Masturbation devant un film porno ; elle se plaçait en face de
sa télévision, cul sur la moquette, dos contre le canapé, jambes
repliées et écartées comme pour exhiber sa chatte en reflet de
celles qu'elle regardait. Masturbation paresseusement sous les draps,
le dimanche matin, les doigts enduits d'une crème pour faire reluire
son bijou. Masturbation à pleine main lorsqu'elle était excitée
par les bruits environnants.
Hélène
aimait coller son front à la fenêtre. En été, la frondaison
empêchait de distinguer les passants. Mais l'automne venu, elle se
postait à sa place favorite et passait son dimanche
post-masturbatoire à suivre les allées et venues de ses voisins.
Elle épiait, ouvrait grand les yeux et les oreilles.
L'insonorisation étant ce qu'elle était, et comme le dimanche était
propice aux grasses matinées coïtales et aux siestes coquines,
Hélène se trémoussait sur son divan au rythme des bouches qui
s'activaient dans des fellations sirupeuses, des petits lapements
d'un broute-minette, des va-et-vient accompagnés de grands han !
han !
déclamés au su de tous. Sa voisine n'était pas discrète. Mieux,
elle s'adonnait au sexe spectaculaire, amplifiait (Hélène le
pensait du moins) tout léger bruit de léchage, toute intromission
dans son antre, accompagnait chaque pratique sexuelle de commentaires
hauts en couleurs, de termes argotiques, de cochonneries lexicales.
La voisine d'Hélène et ses forniqueurs attitrés étaient des
exhibitionnistes phoniques. Hélène ne rougissait donc pas de prêter
l'oreille, puisqu'elle était en quelque sorte conviée au spectacle.
Le dimanche matin, l'homme au crâne dégarni rendait sa visite.
L'après-midi, c'était le petit en imperméable. Deux parties de
baise fort différentes.
L'homme
au crâne d'œuf n'arrivait pas avant dix heures. Il sonnait et
entrait directement, car la porte n'était jamais fermée à clef. Il
retirait veste et chaussures, échangeait quelques mots avec son
hôtesse et crac,
les obscénités commençaient. Tout d'abord des paroles : ma
petite pute, tes seins pigeonnent, c'est indécent, montre-les de
plus près que je les palpe, je vais sucer tes mamelons, ils sont
tellement gonflés, tu as le feu au cul ma parole, je sens la chaleur
à travers le tissu, ôte-le, tu n'en as plus besoin, je te
photographierais bien ainsi, pétasse, cul à l'air, frétillante
alors que je ne t'ai pas encore touchée, je pourrais montrer la
photo aux collègues demain matin devant la machine à café, ça les
dériderait, tu les ferais rêver avec ton triangle frisé et tes
lèvres qui débordent, on dirait un bec de lièvre tellement elles
se soulèvent, elles réclament le sexe d'un mâle, tu es poisseuse,
tu dégoulines.
Chaque
parole était accompagnée de bruitages et des claques retentissaient
lorsqu'il parlait de son cul. Hélène adorait le moment de la fessée
qui précédait de peu l'enconnage. Elle imaginait le cul gras et
rond de sa voisine, un cul très blanc, légèrement tombant tout en
restant suffisamment tonique. La main soignée, aux ongles courts,
une main d'homme dans toute sa largeur se posait sur une fesse en
écartant les doigts pour l'agripper jusqu'à la raie ;
l'extrémité du pouce titillait l'anus serré et dissimulé sous les
masses opulentes. Et puis la claque elle-même tombait, vive, précise
de l'homme sûr de son geste qui marquait son territoire. « On
va colorer ton arrière-train »,
disait-il. Hélène imaginait la trace des doigts comme une peinture
rupestre à l'entrée de sa grotte. L'homme à la tête d'œuf aimait
la levrette, semblait-il, et les métaphores animalières égayaient
ses propos. Jument, bourrin, chienne et ses variantes : grosse
chienne notamment, qui avait sa préférence.
Hélène
suivait chaque mouvement. Dans un effort de symétrie, par empathie
pourrait-on dire, elle prenait position, à quatre pattes sur le
sofa, et se godait alors que le bavard baisait en faisant répéter à
sa voisine qu'elle était une chienne en chaleur et qu'elle avait
besoin d'être foutue en profondeur. Hélène répétait elle-même
ces mots qui l'excitaient tant.
L'après-midi,
un tout autre scénario se mettait en place. L'homme à l'imperméable
se pliait aux exigences de madame. La voix féminine commandait
régulièrement un face-sitting, l'homme broutait le minou placé
au-dessus de sa bouche jusqu'à ce que des cris de plus en plus aigus
interrompissent l'autoritaire voisine dans ses harangues. Hélène
regrettait, l'oreille collée au mur, que son vibromasseur, même
lubrifié, n'ait pas la douceur humide d'une langue. Heureusement
pour elle, l'électricien passait le lendemain matin : avant de
ficher sa prise mâle, il devrait enduire son petit fusible de
salive, l'aspirer entre ses lèvres, le mordiller, le sucer. Hélène
voulait ameuter le voisinage, affirmer qu'elle aussi s'envoyait en
l'air et qu'elle ne craignait pas qu'on le sût.
La
veille, le notaire avait évoqué le fait que l'électricien qui
résidait au 2e
ne demanderait pas mieux que de travailler au noir contre une petite
ristourne de loyer. L'électricien du 2e
était beau gosse. Hélène l'avait croisé plus d'une fois dans
l'ascenseur et la montée des deux étages suffisait pour la faire
fantasmer sur ses mains d'ouvrier et sa salopette bleue. Même sa
boîte à outils l'excitait. Que de trésors elle pouvait receler !
Elle lui demanderait d'ouvrir cette boîte à malices, d'extraire un
tournevis, de le ficher dans son cul, d'entortiller ses mamelons d'un
fil de cuivre, de jouer de ses pinces pour la faire frémir. Simuler
des tortures. Elle s'époumonerait, réveillerait sa voisine fatiguée
des excès du week-end en hurlant, à genoux, bondagée avec des
rallonges. Mais
je te ferais taire, salope, tu l'as voulu ton fantasme, alors
subis-le ! Il
collerait de fait un scotch épais sur sa bouche.
Hélène
n'avait pas de vibromasseur aussi doux qu'une langue, mais la vision
de l'électricien à la pine bandée sous sa salopette qui
l'outragerait avec ses outils eut un prodigieux effet. Elle cria à
pleins poumons.
À
côté, le silence se fit. Quelques murmures. Une porte. Plus rien.
Hélène regretta de s'être emportée. Sa voisine n'avait sans doute
pas imaginé qu'Hélène se branlait de concert lors des visites
dominicales des deux baiseurs attitrés. Ni que ses vocalises
traversaient si bien les cloisons. Hélène était rouge de honte et,
lorsqu'elle entendit sonner, cacha difficilement sa gêne en
reconnaissant sa voisine.
Anne-Laure
se présenta, Hélène la fit entrer, lui proposa un thé, chauffa
l'eau dans la bouilloire, porta deux tasses sur la table basse et
s'enquit en bafouillant des raisons de sa visite. Anne-Laure avait
pris place sur le sofa. Elle sourit en exhibant sa chatte laissée
nue sous sa jupe : « Tu pourrais poursuivre ce que tu as
interrompu tout à l'heure. »
L'emploi
du temps du dimanche fut réaménagé. Le matin, Anne-Laure et Hélène
recevaient chez l'une ou chez l'autre l'homme au crâne dégarni.
Hélène ne sut jamais son nom, mais quelle importance ? Il
fessait l'une tout en embrochant l'autre, il fessait l'autre tout en
enfournant son vit dans la bouche de l'une que l'autre gougnottait
délicieusement. Hélène, qui lisait La
Philosophie dans le boudoir
quand elle prenait le bus, imaginait les figures qu'ils pourraient
réaliser avec un peu plus de membres, à l'instar des tableaux de ce
manuel d'éducation sexuelle. Inviter l'électricien ne serait pas
déplaisant. De même pour la boulangère.
L'après-midi,
l'homme à l'imperméable rendait visite à Anne-Laure sous l'œil
appréciatif d'Hélène, qui avait et l'audition et la vue pour
lutiner son con avec quelques accessoires contondants. Ensuite, les
rôles étaient inversés et l'homme servait sa deuxième maîtresse
avec autant de fougue que la première.
Ces
arrangements convenaient à tous. Le notaire y trouva aussi son
compte car, revenant à la charge auprès d'Hélène et de ses gros
seins blancs, il découvrit tout ce petit monde affairé :
Hélène, Anne-Laure, l'homme au crâne dégarni muni d'un paddle
afin que les charmantes voisines puissent expérimenter d'autres
sensations que celles procurées par sa paume, l'électricien à
quatre pattes sur la moquette, avec un curieux outil que la
boulangère enfonçait dans son cul. Monsieur Romert ouvrit sa
braguette et s'astiqua lui-même le manche avec poigne car, dans sa
délicatesse, il ne souhaitait pas troubler une si charmante saynète.
Les partouses connurent beaucoup de succès chaque dimanche. Monsieur
Romert, essentiellement voyeur à ses débuts, ne dédaigna pas
ensuite y mettre du sien et on put le voir s'adonner à son tour au
face-sitting, à la douche dorée, et même prêter à l'occasion son
anus, qu'il avait fort large.
Lecteurs,
lecteurs, je vous le dis, le dimanche ne fut jamais aussi joyeux dans
cet immeuble nancéien. Et grâce à quoi ? Aux indiscrétions
d'Hélène. Je ne peux donc vous donner qu'un conseil d'écrivain
vicieux : si comme moi vous vivez dans un immeuble doté de
cloisons fines comme du papier bible, écoutez vos voisins baiser.
Peut-être en tirerez-vous quelques historiettes que vous pourriez
raconter dans une nouvelle érotique. Ou, à défaut d'écrire,
faites comme Hélène : avec un peu d'audace et une voisine
engageante, grand bien pourrait vous en advenir.