Ce texte est inédit. Je viens de le relire, je l'ai trouvé pas si mal que ça. Initialement, je l'avais écrit pour un appel à textes des éditions Des ailes sur un tracteur qui comptaient publier un recueil érotique sur le thème "cul comme queer". Finalement, le projet a dû être abandonné puisque je n'en ai plus entendu parler, je n'ai même d'ailleurs jamais reçu d'accusé de réception de mon envoi.
Le
corset écrasait ma poitrine. Je soupirai lorsque je réussis à
accrocher correctement les bas au porte-jarretelles. Nul doute que
j'avais eu raison de commencer si tôt l'habillage. Vingt-deux heures
et je n'étais pas encore maquillée. Je pestai contre le mascara qui
s'était solidifié sur le pinceau. Produit de qualité médiocre ;
je n'achèterais plus cette marque.
Cette
soirée me rendait nerveuse. Ma première du genre. Et j'y allai
seule. Cependant je notai avec satisfaction les modifications de mon
apparence. Celle que je voyais dans le miroir était moi, tout en
étant différente à la fois. À
mesure que ce moi se métamorphosait, je prenais confiance. La
coiffure vint en dernier. J'arrondis quelques boucles au fer et
laissai mes cheveux danser librement. Un taxi, un trajet, et
j'arrivai dans le saint des saints.
La
soirée avait commencé. Si la piste de danse n'attirait encore que
peu de monde, le bar était pris d'assaut. Sur des tabourets hauts,
de longues jambes croisées montraient la chair blanche des cuisses
de leur propriétaire. Autour d'elles papillonnaient des hommes en
noir, de leur t-shirt au pantalon de cuir, à moins qu'il ne s'agît
de vinyle où se reflétait la lumière de stroboscopes. Certains
êtres qui déambulaient semblaient sortis d'un conte macabre, sortes
de zombies en combinaison collée à la peau. D'autres exhibaient
leur torse nu et leurs tatouages, leurs piercings et habits cloutés.
Une princesse en perruque d'époque replaçait une mouche contre sa
joue aussi blanche que la craie. Elle portait pour seuls vêtements
les arceaux qui auraient dû soutenir une robe de bal. Sous cette
cage métallique, j'admirai son inaccessible nudité.
Ce
milieu interlope que j'avais tant fantasmé s'ouvrait enfin à moi.
Je me sentis dans mon élément au milieu de cette population
bigarrée. Mon rouge à lèvres couleur sang rehaussait mon teint
pâle. Mon corps s'élançait, perché sur des bottines aux talons
fins. Je m'avançai, en balançant les hanches, vers le seul espace
libre devant le bar et m'y appuyai. Un homme aux épaules puissantes
officiait comme barman. Son crâne nu et son anneau d'or à l'oreille
droite me firent songer aux pirates de Stevenson. J'aimais les mâles
qui affichaient leur crasse virilité. Celui-ci ne me décevrait pas.
Je le hélai et commandai un rhum-coca.
— Tout
de suite, ma belle. Et un Cuba libre !
Il
posa le verre en face de moi et effleura mes doigts.
— T'es
nouvelle ici ? Je ne t'ai jamais vue. Et crois bien que je
t'aurais remarquée…
— Oui,
c'est la première fois que je viens.
— Je
m'appelle Jean. Et toi ?
J'hésitai
une seconde.
— Pomme.
— Eh
Erwan ! s'écria-t-il. Prends le relais, je te rejoins plus
tard.
Puis,
m'adressant à nouveau la parole.
— Je
serai ton guide, ma jolie pomme. Je te fais visiter, je te présente
tous les mâles que tu souhaites approcher. À
moins que tu préfères les filles ?
Devant
ma moue :
— Tu
croques dans les deux si je comprends bien ? Ou plutôt, tu te
laisses croquer ?
Il
comprenait parfaitement.
Jean
me prit la main et m'entraîna derrière la piste. J'imaginai sans
peine que mon beau barman me ferait surtout visiter les recoins où
l'on s'adonnait à des jeux sexuels et que les présentations
viendraient seulement après sa propre satisfaction.
Sur
la piste, deux femmes à la chevelure rouge dansaient, lascivement
emmêlées. Leurs gestes sensuels électrisaient l'atmosphère.
J'aurais aimé les voir se dévêtir et se rouler l'une sur l'autre,
enchevêtrer leurs corps, se chevaucher. Comme Jean tenait ma main et
m'entraînait fermement, je ne pus contempler plus longuement ces
créatures félines.
Nous
contournâmes la piste et arrivâmes devant une cage où un homme,
attaché aux poignets et aux chevilles, était exposé, nu. Son sexe,
dur, se dressait entre ses deux jambes écartées. Certains
s'arrêtaient pour l'observer, comme ils l'auraient fait pour un
animal dans un zoo.
— Tony,
petite chose, tu as été vilain ? Ta maîtresse t'a puni ?
l'apostropha Jean.
Sur
un banc recouvert de velours, une femme éclata d'un rire haut
perché. La maîtresse en question, semblait-il, vu le regard de
chien fidèle que lui adressa l'homme dans sa cage.
Recroquevillé
aux
pieds de la Domina,
un homme vêtu d'un pagne léchait consciencieusement le talon de ses
bottes. La femme saisit brutalement son admirateur par les cheveux et
planta son visage sous son jupon, entre ses cuisses ouvertes. C'est
ce moment que choisit Jean pour s'approcher d'elle.
— Catharina,
mes hommages.
Le
barman s'inclina et fit un baise-main à la dominatrice qui lui
sourit gracieusement. Puis elle grimaça : celui qui activait sa
langue sous la jupe dut commettre une maladresse, car Catharina le
repoussa vivement du plat de la main. L'homme en pagne recula. La
Domina lui asséna un coup de la pointe de sa botte. Il tomba à la
renverse.
— Je
ne peux me fier à personne. J'ai beau avoir mille sujets de me
plaindre de mon Tonino, je reviens quand même vers lui, tant les
pseudo-soumis semblent incapables de satisfaire la moindre de mes
exigences…
Catharina
jeta un œil à la cage.
— Seulement,
je prends soin de mon jouet. Il aime tant souffrir de me voir lui
préférer un autre… Regardez comme il bande.
Nous
regardâmes l'homme de la cage. Son érection était plus forte
encore que lorsque nous étions passés devant lui. Un sexe large,
épais. Une massue.
La
Domina sembla subitement s'apercevoir de ma présence.
— Et
ta jeune protégée, tu ne me la présentes pas ?
Elle
s'adressait à Jean comme si j'étais incapable de répondre à une
question. Comme si j'étais moi aussi un objet dévoué à son bon
plaisir ? J'en frissonnai.
Jean
avait posé une main sur mes fesses depuis le début de la
conversation. Celle-ci avait progressivement glissé sous ma jupe et
caressait à présent directement mon cul. L'étrangeté de la
situation, ce détachement qu'il faisait preuve à mon égard tout en
se servant de la présence de mon corps, me troublait intensément.
— C'est
Pomme. Peu farouche. Bi. Un joli cul.
Tout
en prononçant le prénom que je m'étais choisi, il palpait le
pourtour de mon anus.
Catharina
se leva et se tint devant moi. Elle me dépassait d'un pouce à peine
et n'eut pas besoin de se pencher pour embrasser mes lèvres. Sa
langue s'immisça dans ma bouche. Son baiser voluptueux chamboula mes
sens. Jean n'avait pas ôté ses doigts. Il cherchait au contraire à
les introduire en moi, mais la position était incommode.
— Fais-la
s'allonger sur ce banc, ordonna Catharina.
Cette
femme disposait de moi comme elle l'entendait, ne me demandant pas
avis. Mais me serait-il venu à l'idée de m'opposer ?
S'abandonner aux mains d'autrui est un savoureux plaisir. À
celles de Jean, obéissant aux ordres de Catharina, davantage encore.
Je me couchai sur le dos. Mes jambes reposèrent de part et d'autre
du banc.
La
dominatrice sortit alors un couteau de sa poche et en dégaina la
lame. Elle s'approcha de mon buste et caressa les lanières de mon
corset.
— Non,
ce serait dommage de l'abîmer, décida-t-elle enfin en repliant son
couteau. Et puis, jolie Pomme, tu n'as sans doute que peu de fringues
féminines dans tes armoires. Je me trompe ?
Je
ne répondis pas. Jean, de son côté, s'était aventuré sous ma
jupe, côté pile cette fois. Il soupesait mes bourses.
— C'est
ça qui me plaît chez toi. Une gueule femelle et un sexe de mec.
Il
souleva le tissu et descendit d'un geste ma petite culotte blanche.
Ma verge, jusqu'alors compressé, se déploya.
— Je
n'aime que les langues épaisses des mâles, tu tombes donc à pic :
tu vas remplacer l'autre idiot. Lèche-moi. Vois Tony, comme il a
besoin d'être puni !
Catharina
m'enjamba. Les pans de sa robe me couvrirent entièrement le visage.
Sous cette sombre parabole, une éclaircie : les deux lèvres
blanches qui encadraient sa fente. Je tirai la langue et les
pourléchai. Catharina fléchit les genoux. Son antre tout entier se
ventousa à ma bouche. J'aspirai le venin de la belle et rentrai ma
langue le plus profondément que je pus. Plus bas, Jean s'amusait
avec ma verge. Il la masturba, si fort et si vite, que j'éjaculai
dans un spasme douloureux. Sur quoi, sur qui ? Je ne voyais
rien, et même le bruit des conversations paraissait étouffé. Nous
devions nous trouver à proximité des haut-parleurs. Mon cœur, qui
battait au rythme des basses de la musique diffusée, engourdissait
d'autres perceptions auditives. Je m'abandonnai aux attouchements
dont j'étais gratifiée tout en exécutant une danse agile de la
langue. Jean ne me laissa pas de repos : après mon éjaculation,
il entreprit de redonner contenance à mon appendice en le prenant en
bouche. J'étais bien. Je me sentais flotter dans ce monde étrange
et merveilleux.
Une
claque me réveilla. J'étais allongé sur le banc. J'avais perdu
connaissance. Catharina, qui m'avait giflée, s'éloigna pour
détacher son soumis. Je l'avais déçue, moi aussi… Jean m'aida à
me relever et à ajuster ma tenue débraillée.
Je ne remis pas mon slip, gluant de foutre.
— Viens,
je te conduis aux toilettes pour que tu te refasses une beauté. Ton
maquillage a coulé.
Après
ses précédentes paroles, assez brusques, je fus surprise de la
délicatesse avec laquelle Jean s'occupa de moi. Il ne me laissa
qu'un instant, pour prévenir son collègue, Erwan. Le prévenir
qu'il s'absentait.
— Je
te raccompagne. Tu as vécu trop d'émotions en une soirée ! C'est
la première fois que tu portes ce genre de tenue en public ?
Je
fis un signe de tête pour toute réponse.
— Je
m'en doutais.
Après
quelques secondes, il ajouta :
— Tu
me plais, c'est vrai ce que je t'ai dit. Tu me plais beaucoup,
même...
— Alors,
ne t'arrête pas en bas de chez moi. Raccompagne-moi vraiment. Jusque
dans mon lit.